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POLYBE, LIV. XV.

sur la côte, accourir à leur secours, poussèrent leur vaisseau à terre. La plupart de ceux qui le montaient périrent en cette occasion, mais, par un bonheur tout extraordinaire, les ambassadeurs en sortirent sains et saufs.

Voilà la guerre allumée avec plus de chaleur et de haine que jamais. D’un côté, les Romains, se voyant trompés, mirent tout en usage pour se venger de cette perfidie, et de l’autre, les Carthaginois, qui se sentaient coupables, se résolurent à souffrir tout plutôt que de tomber en la puissance des Romains. Dans cette disposition de part et d’autre, il était évident que l’affaire ne se déciderait que par une bataille, de sorte que non-seulement l’Italie et l’Afrique, mais encore l’Espagne, la Sicile et la Sardaigne, étaient en suspens et attendaient cet événement avec inquiétude. Comme Annibal manquait de cavalerie, il députa à Tychée, Numide, ami et allié de Syphax et qui avait la meilleure cavalerie d’Afrique, pour l’engager à venir à son secours et à saisir l’occasion qui s’offrait de se maintenir dans ses états, ce qu’il ne pouvait faire qu’autant que les Carthaginois auraient le dessus ; car, sans cela, il courrait risque de sa propre vie, ayant en tête un prince aussi ambitieux que Massinissa. Tychée se rendit à ces raisons, et vint joindre Annibal avec deux mille chevaux.

Scipion ayant pourvu à la sûreté de sa flotte et laissé Bébius pour la commander, se mit en marche pour se rendre maître des villes, et il n’attendit plus qu’elles se rendissent d’elles-mêmes : il y entra par force, fit passer tous les habitans sous le joug, et fit éclater tout le ressentiment dont il était animé contre la perfidie des Carthaginois. Il dépêcha aussi courrier sur courrier à Massinissa, pour lui apprendre de quelle manière ils avaient rompu la trève, et pour le presser de lever une armée la plus nombreuse qu’il pourrait, et de le venir joindre en diligence ; car ce prince, comme nous l’avons déjà dit, aussitôt après la publication de la trève, était parti avec ses propres troupes, dix compagnies tant de cavalerie que d’infanterie romaine et des ambassadeurs de la part de Scipion, non-seulement pour recouvrer le royaume de ses pères, mais encore pour l’agrandir, avec le secours des Romains, de celui de Syphax ; ce qu’il exécuta en effet.

Cependant les ambassadeurs revenant de Rome abordèrent au camp de l’armée navale. Sur-le-champ Bébius envoya ceux de Rome à Scipion, et retint auprès de lui ceux de Carthage, qui, tristes et chagrins depuis qu’ils avaient appris l’insulte faite aux ambassadeurs des Romains, croyaient toucher à leur dernier moment. Ils ne doutaient pas qu’on ne se vengeât sur eux d’une si noire perfidie. Scipion ayant appris que le sénat et le peuple romain avaient approuvé le traité qu’il avait conclu avec les Carthaginois, et qu’on était prêt à exécuter tout ce qu’il avait demandé, envoya ordre à Bébius de renvoyer les ambassadeurs des Carthaginois chez eux avec toutes sortes d’honnêtetés. Cet ordre était, à mon avis, très-sage et très-prudent. Sachant que sa patrie avait un respect inviolable pour les ambassadeurs, toutes réflexions faites, il jugea qu’il ne devait pas tant faire attention à ce que méritaient les Carthaginois qu’à ce qu’il convenait aux Romains de leur faire. C’est dans cette pensée que, modérant sa colère et le désir de se venger, il ne pensa qu’à suivre les grands exemples qu’il avait reçus de ses ancêtres, et à surpasser en vertu les Carthaginois et