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POLYBE, LIV. XIV.

chose qu’on entreprît contre les ennemis.

Ce changement fit beaucoup de peine à Syphax qui avait déjà conçu de grandes espérances de la paix. Il alla s’aboucher avec Asdrubal et lui annonça ce qu’il venait d’apprendre de la part des Romains. Dans l’inquiétude où cette nouvelle les jeta, ils tinrent conseil entre eux sur les mesures qu’ils avaient à prendre ; mais ils ne pensèrent à rien moins qu’au péril dont ils étaient menacés, et ne songèrent point du tout aux précautions qui étaient nécessaires pour l’éviter. Toutes leurs vues se bornèrent à tâcher d’attirer les Romains en rase campagne pour les combattre, ce qu’ils souhaitaient avec une extrême passion.

Jusqu’alors, d’après les préparatifs que faisait Scipion et d’après les ordres qu’il donnait, on avait cru qu’il voulait surprendre Utique ; mais enfin il s’ouvrit sur son dessein à un certain nombre de tribuns choisis, et les avertit, vers le milieu du jour, de souper à l’heure ordinaire, et après que toutes les trompettes ensemble auraient sonné, selon la coutume, de faire sortir l’armée du camp. C’est l’usage chez les Romains, que toutes les trompettes sonnent vers l’heure du souper près de la tente du général, parce que c’est le temps où toutes les gardes se distribuent. Ensuite ayant assemblé tous ceux qu’il avait envoyés reconnaître les deux camps des ennemis, il examina et compara ensemble tout ce qu’ils lui disaient des routes et des entrées de ces camps, consultant surtout Massinissa, à qui les lieux étaient fort connus. Quand tout fut disposé, et qu’il eut laissé pour la garde du camp un nombre suffisant de bonnes troupes, il se met en marche avec le reste de l’armée sur la fin de la première veille et arrive aux ennemis, qui étaient à soixante stades de son camp, vers la fin de la troisième. À quelque distance de l’ennemi, il fit deux corps de son armée. Il en donna la moitié et tous les Numides à Lélius et à Massinissa, avec ordre d’attaquer le camp de Syphax, les exhortant à signaler leur courage dans cette occasion et à ne rien faire qu’avec prudence ; car ils savaient bien qu’en fait d’expéditions nocturnes, il fallait trouver dans son intelligence et sa valeur les ressources que les ténèbres ne permettent pas de trouver par les yeux ; puis il s’avança avec le reste des troupes vers le camp d’Asdrubal, au petit pas cependant, parce qu’il était résolu de ne pas fondre dessus avant que, du côté de Lélius, on eût mis le feu à celui des Numides.

Lélius partage ses troupes en deux corps et leur fait mettre en même temps le feu aux huttes ; il n’y fut pas plutôt, que les premières furent d’abord embrasées et que le mal devint irrémédiable, tant parce qu’elles se touchaient les unes les autres, qu’à cause de la quantité de matière qui brûlait. Tandis que Lélius, comme en réserve, attendait le temps de porter du secours, Massinissa postait ses gens dans tous les endroits par où il savait que les Numides devaient passer pour se sauver de l’incendie. Aucun des Numides, pas même Syphax, ne soupçonnant d’où venait ce grand feu, on crut qu’il avait pris au camp par quelque hasard. Sans penser à autre chose, les uns endormis se réveillent, les autres se lèvent de table où ils s’étaient enivrés et sautent hors de leurs huttes ; ceux-ci se foulent aux pieds les uns les autres aux portes du camp, ceux-là sont atteints par le feu et dévorés par les flammes, et ceux qui s’en échappent sont massacrés par les Romains, sans savoir ni

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