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POLYBE, LIV. XII.

crites les choses dont je viens de parler, qui ont ainsi préparé leur esprit à la grandeur de ses promesses, qui enfin y ont ajouté foi, supportent avec peine une contradiction ; et quand on essaie de leur prouver que les fautes de Timée sont précisément celles qu’il reproche aux autres avec tant d’amertume (comme, par exemple, quand il avance, au sujet des Locriens, les mensonges que j’ai relevés plus haut), ils vous combattent avec force, et ne souffrent pas qu’on les arrache à la bonne opinion qu’ils ont de lui. Enfin, pour tout dire en peu de mots, ceux qui se sont malheureusement livrés avec trop d’ardeur à méditer les commentaires de Timée, en retirent le fruit, qu’habitués à ses discours et à ses longues harangues, ils deviennent des argumentateurs à la fois puérils et exagérés. (Ibid.)


Il nous reste enfin de Timée une partie de son Histoire ; elle est également couverte de tous les défauts dont nous avons déjà signalé un grand nombre. Nous dirons maintenant à quelle cause on doit les attribuer ; et bien qu’elle puisse paraître peu vraisemblable, on trouvera que ce n’en est pas moins la véritable source de ses erreurs. Car il semble faire parade d’une grande ardeur de recherches et d’une grande habileté pratique ; en un mot, il feint d’avoir mis le plus grand soin à écrire son Histoire, et cependant, dans certaines parties de son ouvrage, il se montre le plus inhabile et le moins consciencieux de tous ceux qu’on a décorés du titre d’historien. Le morceau qui suit va d’ailleurs prouver ce que j’avance : — Des deux organes que la nature nous a donnés pour nous informer et nous instruire à fond des choses, l’ouïe et la vue, celui-ci, quoique incomparablement plus certain, selon Héraclite (car les yeux sont des témoins tout autrement exacts que les oreilles), n’est cependant pas la voie dont Timée s’est servi pour parvenir à la connaissance des faits dont il parle. Il a pris la plus douce, quoiqu’elle fût la moins sûre. Il n’a rien examiné par ses yeux, il n’a employé que ses oreilles. Bien plus, car des deux manières dont l’ouïe sert à nous instruire des choses, savoir, la lecture des livres et nos propres recherches, il n’a fait aucun usage de la dernière : nous l’avons prouvé plus haut. Si l’on veut savoir pourquoi il s’en est tenu à la lecture, c’est que par ce moyen on ne court aucun risque, et que l’on n’a rien à souffrir en apprenant. Il n’est besoin pour cela que de se loger dans une ville où il y ait un grand nombre de livres, ou d’avoir auprès de soi une bibliothèque bien fournie. Avec ce secours, on peut à l’aise, dans un cabinet, sans rien perdre de son repos et de sa tranquillité, s’instruire de ce que l’on cherche ; comparer ensemble les écrivains passés et observer leurs fautes. Mais pour faire des recherches exactes, il en coûte des travaux et de la dépense, Aussi, c’est ce qui perfectionne l’histoire, et qui lui donne son prix. On le voit par le témoignage de ceux qui se sont exercés dans ce genre d’écrire. Ephore dit que s’il était possible que ceux qui écrivent des faits en fussent témoins oculaires, ce serait la meilleure manière de les connaître ; et Théopompe, que celui-là est d’autant plus habile dans les choses de la guerre, qu’il s’est trouvé à un plus grand nombre de combats, comme le plus éloquent orateur est celui qui a plaidé le plus de causes. Il en est de même de la médecine et de l’art de conduire les vaisseaux. Homère nous apprend la vérité avec encore plus de force et d’énergie, lorsque