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POLYBE, LIV. XII.

ils lui ont montré des actes authentiques qui subsistent encore, et commencent ainsi : « Comme il convient aux pères à l’égard de leurs enfans, etc. ; » qu’il avait vu ensuite des décrets publics qui établissaient les lois que les Locriens devaient observer les uns à l’égard des autres ; qu’ayant appris ce qu’Aristote avait écrit de leur colonie, ils avaient été étonnés de la témérité de cet écrivain ; que de Grèce il avait passé chez les Locriens d’Italie ; qu’il y avait trouvé des lois et des coutumes qui ne se sentaient point du tout de l’esprit d’esclavage, mais qui étaient dignes d’hommes libres ; qu’on y trouvait des peines infligées aux fugitifs et aux gens de mauvaise vie, ce qui ne se verrait point s’ils avaient à se reprocher la même origine. Telles sont les raisons de Timée.

Mais demandons à cet historien quels sont les Locriens qu’il a interrogés et qui l’ont informé de toutes ces particularités ? Si en Grèce, comme en Italie, il n’y avait qu’une seule nation de Locriens, peut-être n’aurions-nous pas lieu de douter de sa bonne foi, au moins il nous serait aisé de nous éclaircir. Mais il y a deux nations de Locriens. Chez lesquels s’est-il transporté ? Quelles villes de l’autre nation a-t-il consultées ? Chez qui a-t-il trouvé ces actes qu’il fait tant valoir ? car il ne nous dit rien sur tous ces points. On sait cependant que la gloire qu’il dispute aux autres historiens, c’est celle de l’exactitude dans l’ordre des événemens, et dans l’indication des pièces dont il s’est servi. Comment donc s’est-il oublié jusqu’à ne nous nommer ni la ville où il a découvert ces actes, ni le lieu où ils ont été écrits, ni les magistrats qui les lui ont communiqués, ni ceux à qui il en a parlé ? S’il eût pris ces précautions, tous les doutes se dissiperaient, et en cas qu’il en restât, on s’assurerait aisément de la vérité. Soyons persuadés que s’il ne les a pas prises, c’est qu’il craignait qu’on ne le démentît. Sans cela il n’aurait pas manqué de nous étaler toutes ces preuves. On va s’en convaincre.

Il cite nommément Échécrate, il dit que c’est avec lui qu’il s’est entretenu sur les Locriens d’Italie ; et pour montrer que cet Échécrate n’était pas un homme de néant, il a soin de nous dire que son père avait été ambassadeur de Denys le Tyran. Un historien capable de ces sortes de détails oublierait-il un acte public, un monument authentique ? Un historien qui compare les éphores des premiers temps avec les rois de Lacédémone ; qui range selon l’ordre des temps les archontes d’Athènes, les prêtresses de Junon à Argos, et ceux qui ont vaincu aux jeux Olympiques, et relève jusqu’à une erreur de trois mois dans les monumens de ces villes ; qui déterre les pièces les plus cachées ; qui le premier a trouvé dans les lieux les plus secrets des temples les monumens de l’hospitalité publique : un tel historien, dis-je, est inexcusable, soit qu’il ignore les circonstances que nous demandons, soit que les sachant il avance des choses fausses. Dur et inexorable à l’égard d’autrui, il mérite qu’on le traite avec la même rigueur.

Après avoir menti sur les Locriens de Grèce, passant à ceux d’Italie, il accuse Aristote et Théophraste d’avoir faussement représenté les lois et les autres usages établis chez les deux nations. Quoique cela doive m’écarter de mon sujet, je prévois que je serai obligé de dire et de prouver ce que je sais sur ces deux colonies. Si je m’y suis arrêté trop long-temps dans cet endroit,