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POLYBE, LIV. XI.

pris leurs quartiers d’hiver, se mit en marche et alla camper assez près d’une ville appelée Ilinga, au pied d’une montagne où il se fortifia d’un retranchement, et où il avait devant lui une plaine très-propre à livrer bataille. Il avait soixante-dix mille hommes de pied, quatre mille chevaux et trente-deux éléphans. Aussitôt Scipion envoya Junius Silanus à Colichas, pour en recevoir les troupes qu’il lui avait destinées, et qui consistaient en trois mille hommes d’infanterie et cinq cents chevaux. Il prit le reste des alliés, et commença à marcher contre l’ennemi. Il rencontra auprès de Castulon et de Bœccula les troupes que Silanus lui amenait de la part de Colichas. Mais une chose lui donnait beaucoup d’inquiétude : d’un côté les troupes romaines, sans alliés, n’étaient pas assez fortes pour livrer une bataille décisive, et de l’autre il ne lui paraissait pas prudent de hasarder, sur la foi des alliés, une action de cette importance. Après quelques délibérations, il prit le parti de faire manœuvrer les Espagnols de telle sorte que l’ennemi crut qu’il s’en servirait, et cependant de n’engager que ses propres légions. Il se met ensuite en marche avec quarante-cinq mille hommes de pied et trois mille chevaux. Quand il fut près des Carthaginois et en présence de leur armée, il campa sur des hauteurs qui étaient vis à vis des ennemis. Magon, croyant que c’était justement là le moment favorable de charger les Romains pendant qu’ils dressaient leur camp, prit avec lui la plus grande partie de sa cavalerie ; Masinissa se mit à la tête des Numides, et ils fondirent ensemble sur le camp, comme assurés qu’ils prendraient Scipion au dépourvu. Mais il avait prévu de loin cet événement, et avait mis en embuscade, derrière une hauteur, un nombre de cavalerie égal à celui des Carthaginois. Cette cavalerie, se montrant tout d’un coup et lorsqu’on ne s’y attendait pas, étonna si fort les ennemis, que plusieurs en fuyant tombèrent de leurs chevaux ; les autres à la vérité se battirent avec vigueur, mais l’adresse des Romains à sauter en bas de leurs chevaux leur faisait perdre courage. Ils ne résistèrent que fort peu de temps, et tournèrent le dos, laissant beaucoup de morts sur le champ de bataille. D’abord ils se retiraient eu assez bon ordre ; mais, chargés en queue par les Romains, ils rompirent bientôt leurs rangs, et s’enfuirent en déroute jusqu’à leur camp. Ce succès augmenta l’ardeur que les Romains avaient de combattre, et ralentit beaucoup celle des Carthaginois. Cependant les armées restèrent pendant quelques jours en ordre de bataille dans la plaine, sans rien faire autre chose que de s’éprouver les uns les autres, par des escarmouches et des combats de troupes légères.

Scipion s’avisa alors de deux stratagèmes. Comme il se retirait d’ordinaire et rentrait dans son camp plus tard qu’Asdrubal, il avait observé que ce général mettait ses Africains au centre, et les éléphans sur les ailes. D’après cela, le jour qu’il s’était proposé de combattre étant venu, au lieu de ranger, comme il avait coutume de le faire, les Romains au centre et les Espagnols aux ailes, il fit tout le contraire et donna à ses troupes, par ce nouvel ordre, un grand avantage sur celles des ennemis.

Dès le grand matin, il envoya ordre aux tribuns et aux soldats de prendre leur repas, de se mettre sous les armes et de sortir du camp. Chacun ayant obéi avec joie, se doutant bien de ce qui