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puisse se promettre un succès heureux. On peut mettre dans ce rang les surprises d’armées.

» Je ne dis pas qu’il faille rien hasarder ; je suis trop éloigné de ce principe. En effet, si l’on s’arrêtait à tous les obstacles qui se présentent, et qu’on allât toujours à tâtons et la sonde à la main, comme cela ne se voit que trop parmi les généraux de circonspection outrée, on ne ferait, on n’exécuterait jamais rien ; mais lorsqu’on roule sur de grandes pensées, que l’on connaît ses forces, bien moins par le nombre que par le courage et la bonne volonté, et qu’enfin l’on se connaît soi-même, et de quoi l’on est capable, on est en état de tout entreprendre, et d’exécuter plusieurs choses à-la-fois, comme Régulus et une infinité de grands capitaines, qui joignent à beaucoup de courage et de hardiesse, l’intelligence profonde et un génie fin et rusé. »

Régulas entra dans Adis. Plus de quatre-vingts villes ou bourgs se rendirent, et Tunis, qui n’était qu’à cinq lieues de Carthage, ouvrit ses portes aux vainqueurs.

La consternation la plus grande régnait dans cette capitale, lorsque le lacédémonien Xanthippe y parut avec un corps de troupes auxiliaires. Élevé à Sparte où l’art militaire était encore cultivé, Xanthippe se fit rendre compte de toutes les circonstances des combats précédens ; jugea que les désastres des Carthaginois provenaient de l’ignorance de leurs chefs, qui, se sentant forts en cavalerie, auraient dû éviter les hauteurs et combattre en plaine ; et fit comprendre qu’on pouvait réparer les malheurs de la république, si elle voulait faire usage de ses forces, au lieu de se laisser abattre par le découragement.

Cependant tout pliait devant les légions romaines, et Régulus, qui les conduisait, semblait les avoir tellement familiarisées avec la victoire, qu’on n’entrevoyait pour Carthage aucune chance de salut. Les jalousies cessèrent devant un danger aussi imminent, et les destinées de la patrie furent remises entre les mains de Xanthippe.

On consacra plusieurs semaines à exercer les troupes suivant l’ordonnance lacédémonienne, ordonnance plus simple que celle des autres peuples qui comme eux combattaient en phalange. Xanthippe, homme d’expérience, les familiarisa, sans beaucoup de peine, avec les évolutions qu’elles devaient connaître ; il parvint à leur inspirer de la confiance, ranima insensiblement leur courage, et les fit marcher en plaine, puisque c’était là seulement qu’elles pouvaient tirer parti de leur cavalerie et des éléphans.

D’abord les Romains furent surpris de ce changement de conduite ; mais toujours avides de batailles, excités d’ailleurs par un général qui semblait mériter leur confiance, ils s’avancèrent imprudemment contre cette nouvelle armée, et la joignirent près de Tunis.

Le lendemain on tenait conseil parmi les Carthaginois, lorsque les soldats manifestèrent de l’impatience sur la longueur de la délibération, et demandèrent à combattre. Xanthippe n’eut garde de laisser calmer cette première ardeur qu’il saisit en homme habile ; il fit passer sa conviction chez les autres chefs de l’armée, et disposa tout pour la bataille. Il avait sous ses ordres douze mille hommes d’infanterie, quatre mille de cavalerie, et comptait environ cent éléphans.

L’infanterie pesamment armée des Carthaginois fut rangée sur une seule ligne, en phalange, à seize de profon-