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POLYBE, LIV. X.

et de combats considérables qu’il a livrés : tant étaient grandes les précautions qu’il prenait pour la sûreté de sa personne ! et on ne peut en cela que louer sa prudence. Toute une armée périrait, que tant que le général subsiste et peut agir, la fortune lui fait naître quantité d’occasions de réparer ses pertes ; mais, lui mort, l’armée n’est plus que comme un vaisseau qui a perdu son pilote. Quand elle serait assez heureuse pour remporter la victoire et abattre l’ennemi, ce bonheur ne lui servirait de rien, parce que toutes ses espérances sont fondées sur les chefs. Ceci soit dit pour ces généraux qui, ou par vanité, ou par une légèreté puérile, ou par ignorance, ou par mépris pour les ennemis, tombent dans de pareilles fautes ; car il est sûr que les suites funestes de la mort d’un général qui s’est mal à propos exposé, n’arrivent que par quelqu’un de ces défauts. (Dom Thuillier.)


VI.


Comment Scipion pendant un quartier d’hiver gagna les Espagnols au peuple romain. — Édecon, Indibilis et Mandonius, rois dans l’Espagne. — Il faut plus d’habileté et de prudence pour bien user de la victoire, que pour vaincre. — Réflexions de Polybe sur ce sujet. — De quelle manière Asdrubal, frère d’Annibal, après avoir été vaincu par Scipion, sortit d’Espagne. — Générosité de Scipion en refusant le royaume d’Espagne que lui déféraient les peuples de cette contrée.


En Espagne, Scipion, ayant pris des quartiers d’hiver à Tarragone, comme nous avons dit plus haut, commença par gagner au peuple romain l’amitié des Espagnols, en leur rendant les ôtages qu’il en avait reçus. Édecon, un des rois du pays, lui fut en cette occasion d’un grand secours : ce prince, après la prise de Carthage-la-Neuve, voyant sa femme et ses enfans au pouvoir de Scipion, et se doutant bien que les Espagnols ne tarderaient pas à se ranger dans le parti des Romains, forma le dessein d’être un des principaux auteurs de ce changement, porté à cela par l’espérance de recouvrer sa famille, et de se faire un mérite auprès du consul d’avoir pris de bon gré les intérêts des Romains sans attendre que la nécessité l’y contraignît. Le succès répondit à ses espérances : dès que les armées eurent été distribuées dans leurs quartiers d’hiver, il vint à Tarragone accompagné de quelques-uns de ses amis ; il parle à Scipion, et lui dit qu’il rendait grâces aux dieux de ce qu’il était le premier des grands du pays qui fût venu se rendre à lui ; que les autres, à la vérité, tendaient les mains aux Romains, mais que malgré cela ils envoyaient souvent des ambassadeurs aux Carthaginois et entretenaient des correspondances avec eux ; que lui, au contraire, non-seulement venait lui-même se rendre, mais amenait encore ses parens et ses amis ; que si le consul voulait bien le reconnaître pour ami et pour allié, il en tirerait de grands services, et à présent, et dans la suite ; qu’à présent les Espagnols ne le verraient pas plus tôt entrer dans l’amitié du peuple romain et obtenir ce qu’il demandait, qu’ils imiteraient sur-le-champ son exemple, par le désir qu’ils avaient de recouvrer leurs parens et de se joindre au parti des Romains ; et que, dans la suite, ces mêmes Espagnols, gagnés par l’honneur et l’amitié qu’on leur avait faits, seraient toujours prêts à prendre les armes pour l’aider dans tout ce qui lui restait à exécuter ; qu’il le priait de lui remettre sa femme et ses enfans, de le compter au nombre de ses amis, et en cette qualité de lui permettre de retourner dans son pays, jusqu’à ce que l’occasion se présentât

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