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POLYBE, LIV. X.

d’hiver qu’à faire les préparatifs de ce siége, et, ce qui est à remarquer dans un homme de son âge, il ne s’ouvrit sur cette entreprise à personne qu’à C. Lélius, jusqu’à ce qu’il était à propos de la faire connaître à toute l’armée.

Les historiens tombent d’accord que ce fut d’après ces réflexions que Scipion dressa le plan de la campagne ; et cependant quand ils en ont fait le récit, sans apporter de raison plausible ; bien plus, contre le témoignage de ceux qui ont vécu avec ce général, ils rapportent, je ne sais comment, le succès de cette campagne, non à la prudence de celui qui l’a conduite, mais aux dieux et à la fortune. Cela est encore formellement contraire à la lettre que Publius écrivit à Philippe, et dans laquelle il dit nettement, que tout ce qu’il a fait en général dans l’Espagne, et en particulier le siége de Carthage-la-Neuve, il l’a fait d’après les réflexions que nous avons rapportées. Revenons à notre récit.

Après avoir donné ordre en secret, à C. Lélius, qui devait commander la flotte, et à qui seul il avait fait part de son dessein, de cingler vers Carthage-la-Neuve, il se mit à la tête des troupes de terre, et s’avança à grandes journées. Son armée était de vingt-cinq mille hommes de pied, et de deux mille cinq cents chevaux. Après sept jours de marche, il parut devant la ville, et campa du côté qui regardait le septentrion. Derrière son camp il fit creuser un fossé et élever un double retranchement d’une mer à l’autre. Du côté de la ville, il ne fit aucune fortification, la seule situation du poste le mettant à couvert de toute insulte.

Comme nous avons à rapporter le siége et la prise de cette ville, il faut en faire connaître la situation ainsi que celle de ses ennemis. Carthage-la-Neuve est située vers le milieu de la côte d’Espagne, dans un golfe tourné du côté du vent d’Afrique. Ce golfe a environ vingt stades de profondeur et dix de largeur à son entrée. Il forme une espèce de port, parce qu’à l’entrée s’élève une île, qui, des deux côtés, ne laisse qu’un passage étroit pour y aborder. Les flots de la mer viennent se briser contre cette île, ce qui donne à tout le golfe une parfaite tranquillité, excepté lorsque les vents d’Afrique, soufflant des deux côtés, agitent la mer. Ce port est fermé à tous les autres vents par le continent qui l’environne. Du fond du golfe s’élève une montagne en forme de péninsule, sur laquelle est la ville, qui du côté de l’orient et du midi est défendue par la mer, et du côté de l’occident par un étang qui s’étend aussi au septentrion ; en sorte que, depuis l’étang jusqu’à la mer, il ne reste qu’un espace de deux stades, qui joint la ville au continent. La ville vers le milieu est basse et enfoncée. Au midi, on y arrive de la mer par une plaine, le reste est environné de collines ; deux sont hautes et escarpées, et trois autres d’une pente beaucoup plus douce, mais caverneuses et de difficile accès. La plus grande de ces trois est à l’orient, et l’on voit dessus le temple d’Esculape. Celle qui lui est opposée à l’occident, a une situation semblable. Sur celle-ci se voit un superbe palais, qu’Asdrubal, dit-on, possédé de la passion de règner, a fait bâtir. Les autres collines couvrent la ville du côté du septentrion ; celle des trois qui est à l’orient, s’appelle la colline de Vulcain ; l’autre qui en est proche, porte le nom d’Alète, celui qui, pour avoir trouvé les mines d’argent, a mérité les honneurs divins ; la troisième se nomme la colline de Saturne. Pour la commodité des artisans qui travaillent sur les vaisseaux, on a établi une