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lement que l’on peut expliquer une suite de succès aussi constans que ceux de ce peuple, bien qu’il eût souvent affaire à des ennemis aussi braves et plus habiles que lui.

Qui doute que les Gaulois ne fussent parvenus à soumettre l’Italie, s’ils avaient été plus unis ?

Pyrrhus détruisait certainement la république romaine, s’il avait marché contre elle avec un dessein mûri à loisir, et non pas seulement par l’envie de batailler, ou de satisfaire un sentiment vague d’ambition et de gloire. Mais Pyrrhus, capitaine expérimenté, commandant d’ailleurs à d’excellentes troupes, n’était que guerrier ; il devait, à la longue, échouer contre un peuple qui réunissait le double avantage de tourner avec intelligence vers la guerre toutes les ressources de sa politique, et de soutenir celle-ci de toutes ses forces militaires.

Après Pyrrhus et les peuples de la Gaule, on voit paraître les Carthaginois qui marchaient au même but que les Romains, mais avec la pensée d’un résultat différent.

Carthage voulait tout envahir par l’attrait des richesses ; Rome avait le même projet uniquement pour arriver à la domination. L’une assujettissait les peuples afin de les obliger ensuite à cultiver leur propre territoire, et lui en apporter les produits ; l’autre subjuguait un pays dans la vue d’en tirer des soldats qui l’aidassent à conquérir la contrée adjacente. Toutes deux imperturbables dans leur politique, se servaient tour-à-tour de l’artifice et de la violence pour parvenir à l’accomplissement de leurs desseins. Mais la puissance commerçante, qui voulait tirer un grand parti de ses conquêtes, était obligée de les contenir constamment dans la dépendance ; tandis que la puissance militaire, associant les vaincus à ses glorieux travaux, leur faisait plus aisément oublier une défaite.

Carthage avait dans son sein une milice nationale, dont elle tirait plutôt des officiers que des soldats. C’est une pépinière de généraux qui, destinés à commander les armées de la république, deviennent les seuls dépositaires de ses desseins secrets. Une partie des troupes était levée parmi ses sujets et ses alliés ; le reste servait comme mercenaire.

Carthage faisait combattre chaque peuple dans le genre qui lui était le plus propre, ou qu’il avait le plus perfectionné. La Numidie lui fournissait une excellente cavalerie ; les îles Baléares, les meilleurs frondeurs du monde ; l’Espagne, une infanterie brave et infatigable ; les Gaulois, des troupes d’avant-poste, aussi audacieuses qu’intelligentes ; Carthage trouvait même dans la Grèce des soldats d’élite également propres aux plus savantes manœuvres de la guerre de siége ou de celle de campagne.

On ne peut rien dire de particulier sur la discipline, les armes, la manière de camper, de marcher, de combattre des armées carthaginoises ; puisque chacun des peuples qui la composent conservent l’esprit, les usages et les procédés militaires qui lui sont propres. Quant à l’infanterie africaine, formée des citoyens mêmes de Carthage, ou des habitans les plus anciennement réunis sous sa domination, elle était ferme, courageuse, bien disciplinée, combattait en phalange, et avait absolument les mêmes armes et la même tactique que les Grecs.

La direction qu’il fallait donner à ces parties isolées pour les faire marcher avec ensemble, nous montre dans Carthage une politique profonde et adroite,