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POLYBE, LIV. IX.

avec quel courage et quelle émulation les Romains et les Carthaginois se faisaient la guerre ? On lit un fait à peu près semblable dans l’histoire d’Épaminondas, et que tout le monde admire. Ce général des Thébains étant arrivé avec ses alliés à Tégée, et voyant les Lacédémoniens assemblés dans Mantinée avec leurs alliés, comme pour leur livrer bataille, donna ordre à ses troupes de prendre leur repas de bonne heure, et s’ébranla au commencement de la nuit, comme s’il eût eu dessein de s’emparer des postes avantageux et d’offrir le combat. Toute l’armée le croyait ainsi, lorsqu’il fit marcher droit à Lacédémone, et avec une si prodigieuse diligence, qu’il y était arrivé à la troisième heure de la nuit. N’y trouvant personne qui défendît la ville, il entra d’emblée jusqu’au forum, et se rendit maître de toute la partie de la ville qui est le long de la rivière. Par hasard un déserteur arrive cette nuit-là même à Mantinée, et apprend au roi Agésilas ce qui se passait. On court à Lacédémone, et on y arrive dans le temps même que la ville était emportée. Épaminondas, déchu de son espérance, fait prendre le repas à ses troupes sur le bord de l’Eurotas, leur donne quelque repos et retourne par le même chemin, jugeant que les Lacédémoniens étaient tous accourus pour secourir leur patrie, et qu’ils avaient laissé Mantinée sans secours. Cela n’avait pas manqué. C’est pourquoi il encourage les Thébains, il marche en grande diligence toute la nuit, et paraît au milieu du jour devant Mantinée, où il n’y avait personne pour lui en défendre l’entrée. Mais les Athéniens voulant partager cette guerre contre les Thébains, se présentèrent comme alliés des Lacédémoniens : l’avant-garde des Thébains touchait déjà au temple de Neptune, qui n’est qu’à sept stades de la ville, lorsqu’on vit paraître les Athéniens sur la montagne qui commande Mantinée, comme s’ils fussent venus exprès. Ce ne fut qu’alors que ceux qui étaient restés dans la ville, à la vue de ce secours, osèrent enfin monter sur la muraille et empêcher les Thébains d’en approcher. Ainsi les historiens ont raison de se plaindre du malheur qui a traversé ses exploits, et de dire qu’Épaminondas a fait tout ce qu’un grand capitaine devait faire pour vaincre ses ennemis, mais qu’il a été lui-même vaincu par la fortune.

Il est arrivé quelque chose de pareil à Annibal. Car quand on voit que ce général tâche d’abord de faire lever le siége en affaiblissant les Romains par de petits combats ; que, ce moyen ne réussissant pas, il va attaquer Rome même ; que, le hasard faisant encore manquer ce projet, il fait retourner une partie de son armée et reste, lui, comme en sentinelle pour être prêt au premier mouvement que feront les assiégeans ; qu’enfin il n’abandonne pas son entreprise sans battre les Romains et sans s’être presque rendu maître de Rheggio ; qui n’admirera dans tout cela la conduite de ce grand général ?

Mais les Romains se conduisirent beaucoup mieux dans cette affaire que les Lacédémoniens dans la leur. Ceux-ci, en désordre à la première nouvelle, pour sauver Lacédémone, abandonnent, autant qu’il était en eux, Mantinée, en proie à leurs ennemis. Ceux-là, au contraire, gardent leur patrie sans lever le siége, sans être ébranlés dans leur première résolution, sans cesser de presser les assiégés.

Au reste, on ne doit pas prendre ceci pour un éloge des Romains et des Carthaginois ; je leur ai déjà rendu plus d’une fois la justice qu’ils méritent. Je