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POLYBE, LIV. VIII.

Cet arrangement pris, nos conjurés traversent la partie habitée de la ville, et viennent aux tombeaux ; car le côté oriental de la ville est tout couvert de ces sortes de monumens, parce que, pour obéir à un ancien oracle qui leur avait prédit que plus ils seraient d’habitans plus ils seraient heureux, entendant cet oracle des morts comme des vivans, ils enterrent tous leurs morts au dedans de la ville. Arrivés au tombeau de Pythionique, ils attendirent qu’Annibal allumât son feu, qui ne fut pas plus tôt allumé, que Nicon et Tragisque, pleins de confiance, firent aussi le leur ; et quand celui d’Annibal fut éteint, ils courent avec impétuosité à la porte pour en égorger la garde, avant que les Carthaginois qui devaient marcher lentement y arrivassent. L’expédition réussit ; on surprend la garde, et pendant qu’une partie des conjurés la tue, l’autre brise la porte. Annibal arrive à propos, ayant si prudemment disposé la marche qu’on n’en eut dans la ville aucune connaissance.

Cette entrée s’étant faite sûrement et sans bruit selon le projet, Annibal croit déjà la chose fort avancée et traverse hardiment la grande rue qui conduit au marché. Il avait laissé sa cavalerie, au nombre de deux mille chevaux, hors de la porte, pour servir au besoin, en cas qu’il parût quelques ennemis au dehors, ou qu’il arrivât quelque accident imprévu, comme c’est assez l’ordinaire dans ces sortes d’entreprises. Quand il fut aux environs du forum, il fit faire halte à ses troupes, en attendant qu’il eût des nouvelles de Philémène, dont il était fort inquiet ; car après avoir décidé d’entrer par la porte Témenide, il avait envoyé Philémène avec son sanglier et mille Africains à la porte voisine, afin qu’usant non d’un seul moyen, mais de plusieurs, selon qu’on était convenu, on eût aussi plus d’espérance de réussir.

Or Philémène s’étant approché de la muraille suivant son habitude, et ayant donné un coup de sifflet, un garde descendit pour lui ouvrir le guichet. Pour le presser, Philémène lui dit de dehors qu’il se hâtât d’ouvrir, parce qu’ils étaient fort chargés, et qu’ils apportaient un sanglier. À ces mots ce garde espérant qu’il lui reviendrait quelque chose de cette chasse, parce qu’il avait toujours eu sa part des précédentes, ouvrit avec beaucoup d’empressement. Philémène, qui était aux deux premiers bras du brancart, entra le premier avec un autre, en habit de pâtre, qu’il fit passer pour un paysan. Deux autres le suivent portant les deux autres bras de la civière. Entrés tous quatre, ils commencent par poignarder le garde qui leur avait ouvert le guichet, et qui s’occupait imprudemment à regarder et à manier le sanglier ; ensuite ils font entrer par le guichet les trente premiers Africains, dont les uns brisent la porte, les autres tuent le reste des gardes. On donne après cela le signal, les autres Africains entrent et sont conduits au forum selon ce qui avait été publié.

Annibal, en les voyant, ravi de ce que tout lui réussissait à souhait, pensa à faire réussir le reste. Il partagea les deux mille Gaulois qu’il avait, en trois corps, et mit à la tête de chacun deux des conjurés. Il y joignit deux de ses capitaines, avec ordre de se saisir des avenues les plus commodes du forum. Aux conjurés, il leur ordonna de ne faire aucun mal aux citoyens qu’ils rencontreraient, et de leur crier de loin qu’ils ne sortissent point de chez eux, et qu’ils n’avaient rien à craindre. Mais les officiers des Gaulois et des Carthaginois eurent ordre de faire main-basse sur tout ce qui se présenterait de Romains ;

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