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POLYBE, LIV. VIII.

que l’armée ne fût aperçue, et afin de prendre ceux qui se rencontreraient sur la route, ou de crainte que ceux qui échapperaient ne portassent à la ville la nouvelle que la cavalerie numide parcourait le pays. Quand cette cavalerie eut avancé environ cent vingt stades, Annibal fit reposer ses soldats sur le bord d’une rivière, où l’on ne pouvait les découvrir, et là, ayant assemblé les chefs, sans leur expliquer ouvertement son dessein, il se contenta, pour les porter à se signaler dans cette occasion, de les assurer que jamais leur valeur n’aurait été mieux récompensée. Il leur recommanda ensuite de faire garder exactement à chacun son rang dans la marche, de punir sévèrement ceux qui le quitteraient, de faire attention aux ordres qui leur seraient donnés, et de ne faire exactement que ce qui leur serait commandé.

Ensuite ayant renvoyé ces officiers chacun à son poste, le soir venu, il fait avancer son avant-garde, dans le dessein d’être au pied des murs vers minuit. Philémène servait de guide, portant avec lui un sanglier pour se faire ouvrir la porte. Livius, comme les conjurés l’avaient prévu, était ce jour-là avec ses amis dans le musée, et il était au milieu du festin, lorsque le soir on vint l’avertir que les Numides fourrageaient dans la campagne. Ne pensant pas qu’il y eût autre chose, le soupçonnant même beaucoup moins à cause de cette nouvelle, il fit appeler quelques centurions, et leur commanda de prendre au point du jour la moitié de la cavalerie pour arrêter ces courses.

Dès que la nuit fut venue, Nicon, Tragisque et les autres conjurés s’étant rassemblés dans la ville, épiaient le moment où Livius reviendrait chez lui. Il ne tarda point à sortir, parce que le repas s’était fait de jour. Alors pendant que quelques conjurés se tenaient à l’écart, quelques autres vont au devant de Livius, et plaisantent entre eux comme pour imiter des gens qui sortaient de table. Quand ils furent proche de Livius que le vin avait beaucoup égayé, on rit, on dit force bons mots de part et d’autre, et, rebroussant chemin, on conduit ainsi le commandant jusqu’à son logis, où n’ayant rien de fâcheux ou de triste dans l’esprit, et ne respirant au contraire que la joie et la mollesse, il succomba d’abord à ce sommeil profond où fait tomber le vin que l’on prend pendant le jour. Ce fut alors que Nicon et Tragisque allèrent rejoindre leurs compagnons, et que, se divisant en trois bandes, ils se portèrent aux avenues les plus commodes du forum, afin que rien de ce qui se passerait au dehors ou dans la ville ne leur fût caché. Il y en eut aussi qui se mirent auprès du commandant, persuadés que s’il naissait quelque soupçon de ce qui menaçait Livius, ce serait à lui qu’on en apporterait les premières nouvelles ; et que ce qui se ferait pour détourner le danger, se ferait d’abord par lui. Enfin quand les convives se furent retirés, que le tumulte eut cessé, et que toute la ville fut endormie, au milieu de la nuit, toutes choses semblant réussir aux conjurés, ils se réunirent pour l’exécution de leur complot.

Ils étaient convenus avec les Carthaginois, qu’Annibal s’approcherait de la ville du côté des terres qui regardent l’orient, en prenant le chemin de la porte Témenide ; qu’il allumerait un feu sur le tombeau appelé par quelques-uns d’Hyacinthe, et par quelques autres d’Apollon Hyacinthe ; que Tragisque, voyant ce feu, en allumerait un autre au dedans de la ville ; et qu’ensuite Annibal ayant éteint son feu s’avancerait lentement et sans bruit vers la porte.