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POLYBE, LIV. VII.

la route de Lilybée. Les ambassadeurs avouèrent le fait, et dirent qu’en revenant à Syracuse ils n’avaient eu d’autre dessein que de secourir sa jeunesse et de lui conserver son royaume. « Eh bien, répliqua le roi, souffrez donc, Romains, que, pour me conserver le royaume, je change de route et que je me rejette du côté des Carthaginois. » À ces mots, les ambassadeurs, ne doutant plus qu’il n’eût arrêté ses projets, prirent congé de lui sans rien répondre, retournèrent à Lilybée, et apprirent au préteur tout ce qu’ils avaient entendu. Depuis ce temps là les Romains épièrent les démarches de ce prince, et s’en méfièrent comme d’un ennemi déclaré.

Hiéronyme, ayant choisi pour ses ambassadeurs auprès des Carthaginois Agatharque, Onégisène et Hipposthène, les fit partir avec Annibal de Carthage, et leur ordonna de conclure avec la république un traité qui portait « que les Carthaginois lui fourniraient des troupes de terre et de mer, et qu’après avoir, avec leur secours, chassé les Romains de la Sicile, il partagerait avec eux l’île de telle sorte, que l’Himère, qui la traverse presque par le milieu, servirait de borne entre les provinces des Carthaginois et les siennes. » Les ambassadeurs proposèrent ces conditions, auxquelles les Carthaginois souscrivirent volontiers, et le traité fut conclu.

Hippocrate faisait assidûment sa cour à ce jeune prince, et nourrissait son esprit de mensonges et de flatteries. Il lui racontait de quelle manière Annibal était passé en Italie, les batailles et les combats qu’il y avait livrés. Il lui faisait entendre qu’il n’appartenait à personne plus qu’à lui de régner sur toute la Sicile, premièrement parce qu’il était fils de Néréis, fille de Pyrrhus, que les Siciliens, par choix et par inclination, avaient mis à leur tête et comme leur roi ; en second lieu, parce qu’Hiéron son aïeul y avait régné seul. Il sut enfin charmer tellement ce jeune roi, que nul autre que lui n’en était écouté. Le caractère du prince, naturellement léger et inconstant, avait beaucoup de part à ce défaut, mais on le doit surtout imputer à ce flatteur, qui donnait pour aliment à sa vanité les espérances les plus ambitieuses. Agatharque négociait encore à Carthage le traité, lorsque Hiéronyme envoya de nouveaux ambassadeurs pour y dire qu’il prétendait régner seul sur toute la Sicile ; qu’il lui paraissait juste que les Carthaginois lui aidassent à reconquérir tous les droits qu’il avait sur cette île ; mais qu’en récompense il promettait aux Carthaginois de les aider dans l’exécution des projets qu’ils avaient formés sur l’Italie. On sentit bien à Carthage qu’il n’y avait aucun fonds à faire sur ce prince ; mais comme, pour plusieurs raisons, il était important à la république d’avoir la Sicile dans son parti, on lui accorda tout ce qu’il voulut ; et comme il y avait déjà des vaisseaux équipés et des troupes levées, on ne s’occupa plus que du soin de transporter au plus tôt une armée dans la Sicile.

Sur cette nouvelle, les Romains envoyèrent de nouveau des ambassadeurs au roi de Sicile pour l’avertir de ne pas se départir des traités que ses pères avaient faits avec la république romaine. Le roi assembla son conseil. Les habitans du pays, craignant les fureurs du prince, gardèrent le silence. Mais Aristomaque de Corinthe, Damippe de Lacédémone et Autone le Thessalien furent de l’avis qu’il eût dû rester dans l’alliance des Romains. Il n’y eut qu’Andranodore qui dit que l’occasion était trop belle pour la laisser échapper, et que c’était dans cette conjoncture seule