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POLYBE, LIV. VI.

soient d’une grande utilité dans un combat naval, rien cependant ne mène plus sûrement à la victoire que la résolution et la bravoure des soldats. Or, les peuples d’Italie sont plus vigoureux et plus braves que les Carthaginois et les Africains, outre qu’ils ont chez eux certains usages qui inspirent à leur jeunesse une extrême ardeur de se signaler dans la guerre. Nous n’en rapporterons qu’un pour faire voir que dans ce gouvernement on a eu un soin particulier de porter les hommes à braver tous les périls pour se rendre recommandables dans leur patrie.

Quand il meurt à Rome quelque personnage de haut rang, on le porte avec pompe à la tribune aux harangues sur le forum ; là, dressé sur les pieds, rarement couché, il est exposé à la vue de tout le peuple. Ensuite son fils, s’il en a laissé un d’un certain âge et qui soit à Rome, ou, en l’absence du fils, un proche parent, loue en présence de tout le peuple les vertus du mort et rapporte ses principales actions. Cet éloge, rappelant à la mémoire et remettant comme sous les yeux tout ce qu’il a fait, excite non-seulement dans ceux qui ont eu part à ses actions, mais encore dans les étrangers, un sentiment de douleur et de compassion si vif, que le deuil paraît plutôt être public que particulier à certaine famille. On l’ensevelit ensuite et on lui rend les derniers devoirs ; on fait une statue qui représente son visage au naturel, tant pour les traits que pour les couleurs, et on la place dans l’endroit le plus apparent de la maison et sous un espèce de petit temple de bois. Les jours de fêtes on découvre ces statues, et on les orne avec soin. Quand quelque autre de la même famille meurt, on les porte aux funérailles ; et pour les rendre semblables, même pour la taille, à ceux qu’elles représentent, on ajoute au buste le reste du corps. On le revêt aussi d’habits. Si le mort a été consul ou préteur, on pare la statue d’une prétexte ; s’il a été censeur, d’une robe de pourpre ; s’il a eu l’honneur du triomphe ou fait quelques autres actions d’éclat, d’une étoffe d’or. On les porte sur des chars, précédés de faisceaux, de haches et des autres marques des dignités dont ils ont été revêtus pendant leur vie. Quand on est arrivé à la tribune aux harangues, tous se placent sur des siéges d’ivoire, ce qui forme le spectacle du monde le plus enivrant pour un jeune homme qui aurait quelque passion pour la gloire et pour la vertu ; car quel est l’homme qui, voyant les honneurs qu’on rend à la vertu de ces grands hommes vivans encore et respirant en quelque sorte dans leurs statues, ne se sentira pas enflammé du désir de les imiter ? se peut-il rien voir de plus beau et de plus touchant ? Au reste, après que l’orateur a épuisé tout ce qu’il a à dire à la louange du mort, il fait aussi l’éloge des autres dont il voit les statues, en commençant par le plus ancien. Par là se renouvelle toujours la réputation des citoyens vertueux ; la gloire de ceux qui se sont distingués devient immortelle ; les services rendus à la patrie viennent à la postérité ; et ce qui est le plus important, la jeunesse est excitée à ne rien craindre quand il s’agit du bien commun, dans la vue d’acquérir la gloire accordée à la vertu, Aussi l’on a vu des Romains combattre seuls dans les affaires générales ; d’autres se sont jetés dans un péril de mort inévitable, quelques-uns, en temps de guerre, pour sauver un de leurs concitoyens ; quelques autres, pendant la paix, pour le salut de la république. On en a encore vu qui, dans les premières charges, ayant plus à cœur le bien de la pa-