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POLYBE, LIV. VI.

elles, ou pour faire des remontrances, ou pour ordonner, ou pour entreprendre, ou pour déclarer la guerre. Il donne audience aux ambassadeurs qui viennent à Rome, délibère sur leurs instructions et donne la réponse convenable. Rien de tout cela n’appartient au peuple, de sorte qu’en l’absence du consul, il semble que le gouvernement soit purement aristocratique ; bien des Grecs, bien des rois même en sont persuadés, parce que tout ce qu’ils négocient d’affaires avec Rome est confirmé par le sénat.

Après cela on sera sans doute en peine de savoir quelle part il reste au peuple dans ce gouvernement ; puisque d’un côté le sénat a à sa disposition les revenus de la république, et que les dépenses ne se font que par son ordre ; et de l’autre que, pour la guerre, les consuls ont un pouvoir absolu ou d’en faire les préparatifs à Rome, ou de diriger les opérations de la campagne comme il leur plaît. Cependant le peuple a sa part, et une part très-considérable dans le gouvernement ; car il est seul arbitre des récompenses et des peines, et c’est de là que dépend la solidité de tous les établissemens humains quels qu’ils soient. Si, par ignorance ou par mauvaise intention, on manque de placer les unes et les autres à propos, les bons seront traités comme les méchans, les méchans comme les bons, et l’on ne verra que désordre et que confusion.

Le peuple a aussi sa juridiction et son tribunal ; il condamne à l’amende, quand l’injustice commise demande cette punition, et cela regarde surtout les hommes haut placés en dignités. Il a seul le droit de condamner à mort ; sur quoi je ne puis omettre une chose très-mémorable qui se trouve chez ce peuple : c’est que l’usage permet à l’homme sur lequel pèse une accusation capitale, pendant qu’on procède à son jugement, de sortir ouvertement de la ville et de se condamner lui-même tant qu’il reste encore une tribu qui n’ait pas porté son jugement : et alors il peut en sûreté se retirer à Naples, à Préneste, à Tibur et dans toutes les villes alliées des Romains. Le peuple donne aussi les dignités à ceux qui les méritent, et c’est là la plus belle récompense qu’on puisse, dans un gouvernement, accorder à la vertu. C’est lui qui adopte et rejette les lois selon qu’il lui plaît ; et, ce qui est le plus important, on le consulte sur la paix ou sur la guerre. Qu’il s’agisse de faire une alliance, de terminer une guerre, de conclure un traité, c’est à lui de ratifier tous ces projets, ou de les rejeter. Sur ces droits, ne serait-on pas bien fondé à dire que le peuple possède la plus grande part dans le gouvernement, et que ce gouvernement est démocratique ?

On vient de voir comment les trois formes de gouvernement ont chacune leur part dans la république romaine : voyons maintenant de quelle manière elles peuvent s’opposer l’une à l’autre, ou se secourir mutuellement.

Quand un citoyen revêtu de la dignité consulaire sort de la ville à la tête d’une armée, quoiqu’il semble avoir une puissance absolue, il a cependant besoin du peuple et du sénat ; il ne peut rien faire seul et sans leur coopération. Son armée, sans l’ordre du sénat, ne peut avoir ni vivres, ni habits, ni solde ; en sorte que les chefs forment en vain des projets : ils ne réussiront jamais, si le sénat n’entre pas dans leurs vues ou s’il s’y oppose. Le consul est-il en campagne ? le sénat est maître d’interrompre ses entreprises ; c’est lui qui, l’année du consulat