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POLYBE, LIV. V.

hommes, et il eut assez de peine à y réussir. Le résultat du conseil fut que rien n’était plus important ni plus nécessaire que de s’en tenir à l’avis d’Épigène, et il fut résolu qu’on prendrait les armes contre Molon. À peine cette résolution fut-elle prise, qu’Hermias changea tout d’un coup, on l’eût pris pour un autre homme. Non-seulement il se rendit, mais il dit encore que dès qu’un conseil avait décidé, il n’était plus permis de disputer, et il donna en effet tous ses soins aux préparatifs de cette guerre. Quand les troupes furent assemblées à Apamée, une sédition s’y étant élevée pour quelques payemens qui leur étaient dus, Hermias, qui s’aperçut que le roi craignait que cette sédition n’eût quelque résultat funeste, s’offrit de payer à ses frais ce qui était dû à l’armée, s’il voulait remercier Épigène de ses service. Il ajouta qu’il importait au roi que cet officier ne servit point, parce qu’après les contestations qu’ils avaient eues ensemble, il était impossible qu’une division si éclatante ne fit pas tort aux affaires.

Cette proposition affligea le roi, qui, connaissant l’habileté d’Épigène dans la guerre, souhaitait qu’il le suivît ; mais, prévenu et gagné par les ministres des finances, par ses gardes et par ses officiers qu’Hermias avait mis malicieusement dans son parti, il ne fut pas maître de lui-même, il fallut se conformer aux circonstances et accorder ce qu’on lui demandait. Dès qu’Épigène, selon l’ordre qui lui avait été donné, se fut retiré à Apamée, la crainte saisit les membres du conseil du roi ; les troupes, au contraire, qui avaient obtenu ce qu’elles souhaitaient, n’eurent plus d’affection que pour celui qui leur avait procuré le payement de leurs soldes. Il n’y eut que les Cyrrhestes qui se soulevèrent. Ils se retirèrent au nombre d’environ six mille, et donnèrent assez long-temps de l’inquiétude à Antiochus ; mais enfin, vaincus dans un combat par un de ses généraux, la plupart furent tués, le reste se rendit à discrétion. Hermias ayant ainsi intimidé les amis du prince, et gagné l’armée par le service qu’il lui avait rendu, se mit en marche avec le roi.

Il fit encore une autre perfidie à Épigène, par le ministère d’Alexis, garde de la citadelle d’Apamée : il feignit une lettre envoyée par Molon à Épigène, et, ayant suborné un des esclaves de ce dernier par de grandes promesses, il lui persuada de porter cette lettre chez son maître, et de la mêler avec les autres papiers qu’il y trouverait. Alexis se présenta quelques temps après, et demanda à Épigène si l’on n’avait point apporté chez lui une lettre de la part de Molon. Épigène répondit à cette question de manière à faire sentir combien il en était choqué. L’autre entre brusquement, trouve la lettre, et, sans autre prétexte, tue sur-le-champ Épigène. On fit accroire au roi que sa mort était juste ; mais elle fut suspecte aux courtisans, quoique la crainte leur fit garder le silence.

Antiochus arriva près de l’Euphrate, et, ayant pris les troupes qui l’y attendaient, il partit pour Antioche dans la Mygdonie, où il entra au commencement de l’hiver et y resta pendant quarante jours, en attendant que le grand froid fût passé. Au bout de ce temps, il alla à Liba, et y tint conseil pour savoir comment et d’où l’on tirerait les provisions de l’armée, et quelle route on tiendrait pour aller dans la Babylonie, où était alors Molon. Hermias fut d’avis qu’on marchât le long du Tigre, l’armée couverte d’un côté par le Tigre, et de l’autre par le Lyque et le Capre. Zeuxis, ayant encore la mort