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POLYBE, LIV. V.

Après avoir marché quelque temps Molon fait prendre le repas à ses troupes et revient sur ses pas. Toute l’armée ennemie était éparse et ensevelie dans le vin ; il se jette au point du jour sur les retranchemens. Xénète, effrayé, s’efforce inutilement d’éveiller ses soldats. Il se présente témérairement au combat et y perd la vie. La plupart des soldats furent massacrés sur leurs couvertures ; le reste se jeta dans le fleuve pour passer au camp qui était sur l’autre bord, et y périt pour la plus grande partie : c’était une confusion et un tumulte horrible dans les deux camps. Les troupes, étonnées d’un accident si imprévu, étaient hors d’elles-mêmes. Le camp qui était de l’autre côté, n’était éloigné de celui d’où l’on sortait que de la largeur du fleuve, et l’envie de se sauver était telle, qu’elle fermait les yeux sur la rapidité du Tigre et sur la difficulté de le traverser : les soldats, uniquement occupés de la conservation de leur vie, se jetaient eux-mêmes dans le fleuve. Ils y jetaient aussi les chevaux et les bagages, comme si le fleuve, par je ne sais quelle providence, eût dû compatir à leur peine et les transporter sans péril de l’autre côté. On voyait flotter entre les nageurs, des chevaux, des bêtes de charge, des bagages de toute sorte ; c’était le spectacle du monde le plus affreux et le plus lamentable.

Le camp de Xénète enlevé, Molon passa le fleuve sans que personne se présentât pour l’arrêter, car Zeuxis avait aussi pris la fuite ; il se rend encore maître de ce second camp, puis part avec son armée pour Séleucie. Il entre d’emblée dans la place, parce que Zeuxis et Diomédon qui y commandaient, l’avaient abandonnée ; il continue d’avancer et se soumet toutes les hautes provinces sans coup férir. Maître de la Babylonie et du gouvernement qui s’étend jusqu’à la mer Rouge, il vient à Suse, et emporte la ville d’assaut ; mais contre la citadelle ses efforts furent inutiles : Diogène l’avait prévenu et s’y était jeté. Il abandonna donc cette entreprise, et, ayant laissé des troupes pour en faire le siége, il ramène son armée à Séleucie sur le Tigre. Après avoir fait reposer ses troupes là, et les avoir encouragées, il se remit en campagne et subjugua tout le pays qui est le long du fleuve jusqu’à Europe, et la Mésopotamie jusqu’à Dure.




CHAPITRE XII.


Antiochus marche contre Molon, mais sans Épigène, dont Hermias se défait enfin. — Le roi passe le Tigre, fait lever le siége de Dure. — Combat près d’Apollonie.


Le bruit de ces conquêtes fit une seconde fois renoncer Antiochus aux vues qu’il avait sur la Cœlo-Syrie ; il prit de nouveau la résolution de marcher contre le rebelle. On assembla un second conseil, où le roi ordonna que chacun dît ce qu’il jugeait à propos que l’on fît contre Molon. Épigène prit encore le premier la parole, et dit qu’autrefois, avant que les ennemis eussent fait de grands progrès, il avait été d’avis qu’on marchât contre eux sans différer, et qu’il persistait dans ce sentiment. Hermias ne put encore ici retenir sa colère. Il s’emporta contre Épigène, lui fit mille reproches aussi faux qu’injustes, sans oublier de faire de lui-même un magnifique éloge. Il pria ensuite le roi de ne pas suivre un avis si déraisonnable, et de ne pas abandonner le projet qu’il avait formé sur la Cœlo-Syrie. Cet avis révolta toute l’assemblée. Antiochus en fut aussi choqué. Il fit tout ce qu’il put pour réconcilier ces deux