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POLYBE, LIV. IV.

Le bruit de cette conquête effraya la garnison de Lasion. À peine apprit‑elle que le roi approchait, qu’elle abandonna la place. Le roi y entra d’emblée, et, par un surcroît de bonté pour les Achéens, il en gratifia leur république. Strate fut de même désertée par les Éléens et le roi la rendit aux Telphusiens. Il arriva à Olympie après cinq jours de marche ; il y sacrifia aux dieux, et fit un festin aux officiers de son armée. Les troupes se reposèrent là trois jours, au bout desquels il décampa et vint à Élée. Les fourrageurs se répandirent dans la campagne. Pour lui, il mit son camp à Artémise. Après avoir fait là un grand butin, il reprit la route de Dioscyre. Le pays fut ravagé. On fit quantité de prisonniers ; mais ceux qui se sauvèrent dans les villages voisins et dans les postes fortifiés, étaient encore en plus grand nombre. Aussi est‑il vrai que le pays des Éléens est le plus peuplé et le plus fertile de tout le Péloponnèse. Il y a telles familles parmi ce peuple, qui, ayant quelques biens à la campagne, aiment tant à les cultiver, que depuis deux ou trois générations on n’en a vu personne mettre le pied dans Élée.

Cet amour pour la campagne s’est accru par le grand soin qu’ont eu les magistrats de ceux qui y font leur demeure. Dans chaque endroit il y a des juges pour y faire rendre la justice, et l’on veille exactement à ce que les besoins de la vie ne leur manquent pas. Il y a beaucoup d’apparence que ce qui les a portés à prendre tous ces soins et à établir ces lois, c’est la grande étendue du pays, et principalement la vie sainte qu’on y menait autrefois, lorsque, toute la Grèce regardant l’Élide comme sacrée, à cause des combats olympiques qui s’y célébraient, les habitans vivaient tranquilles à l’ombre de cette glorieuse distinction, et sans rien craindre des maux que le guerre entraîne avec elle. Mais depuis que les Arcadiens ont prétendu que Lasion et la Pisatide leur appartenaient, les Éléens, obligés, pour se défendre, de changer leur genre de vie, n’ont rien fait pour recouvrer leurs anciennes immunités. Ils sont toujours restés dans l’état où la guerre les avait mis. Pour parler ingénument, je trouve cette nonchalance très-blâmable. Nous demandons la paix aux dieux dans nos prières ; pour l’avoir, il n’y a rien à quoi l’on ne s’expose ; c’est de tous les biens celui à qui ce titre est le moins contesté : se peut‑il‑faire sans une extrême imprudence, que les Éléens aient négligé ce bien précieux jusqu’à ne pas se donner le moindre mouvement pour l’obtenir des Grecs, et le perpétuer chez eux ? Ils sont d’autant plus coupables, qu’ils n’avaient pour cela rien à faire qui ne fût dans les règles de la justice et de la bienséance.

Ce genre de vie, dira‑t‑on, les exposait aux insultes de ceux qui, sans égard pour les traités, leur auraient cherché querelle. Mais cela serait arrivé rarement, et en ce cas toute la Grèce aurait couru à leur secours. À l’égard des petites incursions qu’on aurait pu faire sur eux, il leur aurait été aisé, riches comme ils n’auraient pas manqué de le devenir dans une paix perpétuelle, de s’en garantir, en mettant des étrangers en garnison dans certains lieux, quand il aurait été nécessaire : au lieu qu’aujourd’hui, pour avoir craint ce qui n’arrive presque jamais, ils sont affligés de guerres continuelles qui désolent leur pays et les dépouillent de tous leurs biens. Les Éléens ne trouveront pas mauvais que je les aie ici exhortés à recouvrer leurs droits, l’occasion n’a jamais été plus