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POLYBE, LIV. IV.

de dissimuler dans les dissensions civiles, de s’attacher les amis, de s’attirer des alliés : fin et adroit pour négocier, pour surprendre l’ennemi, lui tendre des piéges ; infatigable et intrépide pour les faire réussir. Entre une infinité d’exemples qu’on pourrait citer pour faire voir que ce portrait est peint d’après nature, on n’a qu’à voir de quelle manière il se rendit maître de Sicyone et de Mantinée, comment il chassa les Étoliens de Pellène, et surtout de quelle ruse il se servit pour entrer dans l’Acrocorinthe. Mais ce même Aratus à la tête d’une armée n’était plus reconnaissable ; il n’avait plus ni esprit pour former des projets, ni résolution pour les conduire à leur fin ; la vue seule du péril le déconcertait. Le Péloponnèse était rempli de trophées élevés pour célébrer ses défaites, et il y fut toujours vaincu sans beaucoup de résistance.

Aussi voit‑on qu’il y a parmi les hommes une variété infinie non-seulement de corps, mais d’esprits. Souvent le même homme aura d’excellentes dispositions pour certaines choses, qui, employé à des choses différentes, n’en aura aucune. Bien plus, il arrive souvent qu’a l’égard même de choses de même espèce, le même homme sera très-intelligent pour certaines et très-borné pour d’autres, qu’il sera brave jusqu’à la témérité en certaines occasions, et en d’autres lâche jusqu’à la poltronnerie. Ce ne sont point là des paradoxes. Rien de plus ordinaire, rien de plus connu, du moins de ceux qui sont capables de réflexion. Tel à la chasse attaque avec valeur la bête la plus formidable, qui sous les armes et en présence de l’ennemi, n’a ni cœur ni courage. Il y en a qui se tireront avec honneur d’un combat singulier ; joignez‑les à d’autres dans un ordre de bataille, les armes leur tomberont des mains. La cavalerie thessalienne, par exemple, est invincible, lorsqu’elle se bat par escadrons ; mais si elle quitte son ordonnance, on n’en peut tirer aucun service. C’est le contraire avec les Étoliens. Rien n’approche des Crétois, soit sur mer, soit sur terre, quand il s’agit d’embuscade, de pillage, d’attaques nocturnes, partout en un mot où il faut déployer la ruse et l’adresse ; et lorsque les Crétois sont en ordre de bataille devant l’ennemi, c’est la lâcheté même ; tandis que les Achéens et les Macédoniens ne peuvent combattre qu’ainsi rangés. Après cela, mes lecteurs ne devront pas être surpris si j’attribue quelquefois aux mêmes personnes des dispositions toutes contraires, même à l’égard de choses qui paraissent semblables. Je reviens à mon sujet.




CHAPITRE III.


Les Messéniens se plaignent des Étoliens et sont écoutés. — Ruse de Scopas et de Dorimaque. — Aratus perd la bataille de Caphyes.


Quand les troupes furent assemblées à Mégalopolis, comme l’avait ordonné le conseil des Achéens, les Messéniens se présentèrent une seconde fois, demandant qu’on les vengeât de la perfidie qui leur avait été faite ; mais lorsqu’ils eurent témoigné vouloir porter les armes dans cette guerre, et être enrôlés avec les Achéens, les chefs de ceux‑ci ne voulurent point y consentir, et dirent qu’ils ne pouvaient les recevoir dans leur alliance sans l’agrément de Philippe et des autres alliés. La raison de ce refus, c’est qu’alors subsistait encore l’alliance jurée du temps de Cléomène, et ménagée par Antigonus entre les Achéens, les Épirotes, les Phocéens, les Macédoniens, les Béo-