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POLYBE, LIV. III.

nière de se former, leur nombre. Depuis deux ans il ne s’est presque point passé de jour que vous n’ayez mesuré vos épées avec les leurs. Des circonstances différentes doivent produire un succès différent. Il serait étrange, que dis-je ? il est impossible qu’en combattant à forces égales dans des rencontres particulières, vous ayez été le plus souvent victorieux, et que, supérieurs en nombre de plus de la moitié, vous soyez défaits dans une bataille générale. Romains, il ne vous manque plus pour la victoire que de vouloir vaincre. Mais ce serait vous faire injure que de vous exhorter à le vouloir. Si je parlais à des soldats mercenaires ou à des alliés, qui, obligés, en vertu des traités, de prendre les armes pour une autre puissance, courent tous les risques d’un combat, sans avoir presque rien à en craindre ou à en espérer, ce serait à ces sortes de soldats qu’il faudrait tâcher d’inspirer le désir de vaincre ; mais en parlant à des troupes qui, comme vous, vont combattre pour elles-mêmes, pour leur patrie, leurs femmes et leurs enfans, et pour qui une bataille doit avoir des suites si funestes ou si avantageuses, il est inutile de les exhorter, il suffit de les avertir de ce que l’on attend d’elles. Car qui n’aime mieux vaincre ou, si cela ne se peut, mourir du moins les armes à la main, que de vivre et de voir ce qu’il a de plus cher, dans l’infamie et dans l’oppression ? Mais qu’est-il besoin d’un si long discours ? Figurez-vous par vous-mêmes quelle différence il y a entre une victoire et une défaite ; les avantages que l’une vous procure, les maux que l’autre entraîne après elle, et pensez, en combattant, qu’il ne s’agit pas ici de la perte des légions, mais de tout l’empire. Si vous êtes vaincus, Rome n’a plus de ressources pour tenir tête à l’ennemi. Ses soins, ses forces, ses espérances, tout est réuni dans votre armée. Faites en sorte que le succès réponde à son attente, et que votre reconnaissance égale les bienfaits que vous en avez reçus. Que toute la terre sache aujourd’hui que si les Romains ont perdu quelques batailles, ce n’est pas qu’ils eussent moins de courage et de valeur que les Carthaginois, mais parce que les conjonctures où l’on se trouvait ne permettaient pas qu’on leur opposât des combattans qui fussent accoutumés aux devoirs et aux périls de la guerre. » Après cette harangue, Émilius congédia l’assemblée.

Le lendemain, ce consul se mit en marche, pour aller où il avait eu avis que les Romains campaient. Il y arriva le deuxième jour, et mit son camp à environ six milles de celui des Carthaginois. Comme c’était une plaine fort unie et tout ouverte, et que la cavalerie ennemie était de beaucoup supérieure à celle des Romains, il ne jugea pas à propos d’engager le combat dans cet endroit ; il voulait qu’on attirât l’ennemi dans un terrain où l’infanterie pût avoir le plus de part à l’action. Varron, général sans expérience, fut d’un avis contraire ; de là, la division parmi les chefs : rien ne pouvait arriver de plus pernicieux et de plus funeste. Le lendemain, jour où commandait Varron (car c’est l’usage des consuls romains de commander tour à tour), ce consul décampa, et prit la résolution d’avancer plus près des ennemis, quelque chose que pût lui dire son collègue pour l’en détourner.

Annibal vient au-devant de lui avec ses soldats armés à la légère et sa ca-