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POLYBE, LIV. III.

le dernier parti. Il prit la moitié de l’armée, se sépara, et campa à environ douze stades de Fabius.

Annibal, tant par le rapport des prisonniers que par la séparation des deux camps, vit bientôt que les généraux romains ne s’accordaient pas, et que la division venait de l’impétuosité de Minucius, et de la passion qui le possédait de se distinguer. Comme cette disposition ne pouvait lui être que très-avantageuse, il concentra toute son attention sur Minucius, et s’appliqua uniquement à chercher les moyens de réprimer son audace et de prévenir ses efforts. Entre son camp et celui de Minucius, il y avait une hauteur d’où l’on pouvait fort incommoder l’ennemi. Il prit la résolution de s’en emparer le premier ; mais se doutant que son antagoniste, fier encore de son premier succès, ne manquerait pas de se présenter pour le surprendre, il eut recours à un stratagème. Quoique la plaine, que commandait la colline, fût rase et toute découverte, il avait observé qu’il s’y trouvait quantité de coupures et de cavités où l’on pouvait cacher du monde. Il y cacha cinq cents chevaux et cinq mille fantassins, distribués en pelotons de deux et de trois cents hommes ; et, de peur que cette embuscade ne fût découverte le matin par les fourrageurs ennemis, dès la petite pointe du jour il fit occuper la colline par les soldats armés à la légère.

Minucius croit l’occasion belle, il envoie son infanterie légère, et lui donne ordre de disputer ce poste avec vigueur. Il la fait suivre de sa cavalerie, il la suit lui-même avec les légionnaires, et dispose toutes choses comme dans le dernier combat. Le soleil levé, les Romains étaient si occupés de ce qui se passait à la colline, qu’ils ne firent nulle attention à l’embuscade. Annibal, de son côté, y envoyait aussi continuellement de nouvelles troupes. Il les suivit incontinent avec la cavalerie et le reste de son armée. La cavalerie de part et d’autre ne tarda point à charger. L’infanterie légère des Romains fut enfoncée par la cavalerie carthaginoise, beaucoup supérieure en nombre, et, se réfugiant vers les légionnaires, y jeta le trouble et la confusion. Alors Annibal donne le signal à ses troupes embusquées ; elles fondent de tous les côtés sur les Romains ; ce ne fut plus seulement leur infanterie légère qui courait risque d’être entièrement défaite, c’était toute leur armée. Fabius vit de son camp le péril où elle était exposée. Il sortit à la tête de ses troupes, et vint en hâte au secours de son collègue. Les Romains déjà en déroute se rassurent, reprennent courage, se rallient et se retirent vers Fabius. Une grande partie de l’infanterie légère périt dans cette action ; mais il y périt encore plus de légionnaires, et des plus braves de l’armée. Annibal se garda bien d’entreprendre un nouveau combat contre des troupes fraîches, et qui venaient en bon ordre. Il cessa de poursuivre, et se retira. Après ce combat, l’armée romaine eut de quoi se convaincre que la vaine confiance de Minucius avait été la cause de son malheur, et qu’elle ne devait son salut qu’à la sage circonspection de son collègue ; et l’on sentit aussi à Rome combien la vraie science de commander et une conduite toujours judicieuse l’emportent sur une bravoure téméraire et une folle démangeaison de se signaler. Cet échec fit rentrer les Romains en eux-mêmes ; les deux armées se rejoignirent et ne firent plus qu’un seul camp. On se conduisit d’après les avis et les lumières de Fa-