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POLYBE, LIV. III.

cher par l’amitié ; que pendant que les Romains étaient devant Sagonte, et qu’ils la serraient de près, s’il en retirait les ôtages et les rendait à leurs parens et aux villes d’où ils étaient venus, il ferait évanouir les espérances des assiégeans, qui ne cherchaient à retirer ces ôtages des mains de ceux qui les avaient en leur puissance, que pour les remettre à ceux qui les avaient livrés ; que par là il gagnerait aux Carthaginois les cœurs des Espagnols, qui, charmés des sages mesures qu’il aurait prises pour la sûreté de ce qu’ils avaient de plus cher, seraient pénétrés de la plus vive reconnaissance ; que, s’il voulait le charger de cette commission, il ferait infiniment valoir ce bienfait aux yeux de ses compatriotes ; qu’en amenant ces enfans dans leur pays, il concilierait aux Carthaginois l’affection non-seulement des parens, mais encore de tout le peuple, à qui il ne manquerait pas de peindre avec les plus vives couleurs la douceur et la générosité dont les Carthaginois usaient envers leurs alliés ; que lui Bostar devait s’attendre à une récompense magnifique de la part de ces parens, qui, après avoir contre toute espérance recouvré ce qu’ils aimaient le plus au monde, piqués d’une noble émulation, s’efforceraient de surpasser en générosité celui qui, étant à la tête des affaires, leur aurait procuré cette satisfaction. Abilyx, par ces raisons et d’autres de même force, ayant amené Bostar à son sentiment, convint avec lui du jour où il viendrait prendre les enfans et se retira.

La nuit suivante il entra dans le camp des Romains, où il joignit quelques Espagnols qui servaient dans leur armée et par qui il se fit présenter aux deux généraux. Après un long discours, où il leur fit sentir quels seraient le zèle et l’attachement de la nation espagnole, si par eux elle pouvait recouvrer ses ôtages, il promit de les leur mettre entre les mains. À cette promesse Publius est transporté de joie, il promet au traître de grands présens, et lui marque le jour, l’heure et le lieu où on l’attendait. Abilyx ensuite prend avec lui quelques amis et retourne vers Bostar. Il en reçoit les ôtages, sort de Sagonte pendant la nuit pour cacher sa route, passe au-delà du camp des Romains, se rend au lieu dont il était convenu, et livre tous les ôtages aux deux Scipions. Publius lui fit l’accueil le plus honorable, et le chargea de conduire les enfans chacun dans leur patrie. Il eut cependant la précaution de le faire accompagner par quelques personnes sûres. Dans toutes les villes que parcourait Abilyx, et où il remettait les ôtages, il élevait jusqu’aux cieux la douceur et la grandeur d’âme des Romains, et opposait à ces belles qualités la défiance et la dureté des Carthaginois ; et ajoutant à cela qu’il avait lui-même abandonné leur parti, il entraîna grand nombre d’Espagnols dans celui des Romains. Bostar, pour un homme d’un âge avancé, passa pour avoir donné puérilement dans un piége si grossier, et cette faute le jeta ensuite dans de grands embarras. Les Romains, au contraire, en tirèrent de très-grands avantages pour l’exécution de leurs desseins ; mais comme la saison était alors avancée, de part et d’autre on distribua les armées dans les quartiers d’hiver. Laissons là les affaires d’Espagne et retournons à Annibal.

Ce général, averti par ses espions qu’il y avait quantité de vivres aux environs de Lucérie et de Gérunium, et que cette dernière ville était disposée pour y faire des magasins, choisit là ses quartiers d’hiver, et, passant au-delà du mont Livourne, y conduisit

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