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POLYBE, LIV. III.

naire, ou rendre publique et manifeste la lâcheté des Romains, et faire voir qu’ils étaient absolument les maîtres de la campagne.

Sur ces réflexions, Annibal sortit du Samnium, et, passant le détroit du mont Ériban, vint camper sur l’Athurnus, qui divise la Campanie en deux parties presque égales ; il mit son camp du côté de Rome, et fit porter le ravage par ses fourrageurs dans toute la plaine, sans que personne s’y opposât. Fabius fut surpris de la hardiesse de ce général, mais elle ne fit que l’affermir dans sa première résolution. Minucius, au contraire, et les autres officiers subalternes, croyant avoir surpris l’ennemi en lieu propre à lui donner bataille, étaient d’avis que l’on ne pouvait trop se hâter pour le joindre dans la plaine, et sauver une si grande contrée de la fureur du soldat. Le dictateur fit semblant d’être dans le même dessein, et d’avoir le même empressement ; mais, quand il fut à Falerne, content de se faire voir au pied des montagnes et de marcher à côté des ennemis, pour ne pas paraître leur abandonner la campagne, il ne voulut point avancer dans la plaine, et craignit de s’exposer à une bataille rangée, tant pour les raisons que nous avons déjà vues, que parce que les Carthaginois étaient de beaucoup supérieurs en cavalerie.

Après qu’Annibal eut assez tenté le dictateur et qu’il eut fait un butin immense dans la Campanie, il leva son camp, pour ne point consommer les provisions qu’il avait amassées, et pour les mettre en sûreté dans l’endroit où il prendrait ses quartiers d’hiver. Car ce n’était point assez que son armée, pour le présent, ne manquât de rien, il voulait qu’elle fût toujours dans l’abondance. Il reprit le chemin par lequel il était venu, chemin étroit et où il était très-aisé de l’inquiéter. Fabius, sur la nouvelle de sa marche, envoie au devant de lui quatre mille hommes pour lui couper le passage, avec ordre, si l’occasion s’en présentait, de tirer avantage de l’heureuse situation de leur poste. Il alla lui-même ensuite, avec la plus grande partie de son armée, se placer sur la colline qui commandait les défilés. Les Carthaginois arrivent et campent dans la plaine au pied même des montagnes. Les Romains s’imaginaient emporter d’emblée le butin, et croyaient même qu’aidés du lieu ils pourraient terminer la guerre. Fabius ne pensait plus qu’à voir quels postes il occuperait, par qui et par où il ferait commencer l’attaque.




CHAPITRE XX.


Stratagème d’Annibal pour tromper Fabius. — Bataille gagnée en Espagne sur Asdrubal par Cn. Scipion. — Publius, son frère est envoyé en Espagne. — Les Romains passent l’Èbre pour la première fois.


Tous ces beaux projets devaient être exécutés le lendemain ; mais Annibal, jugeant de ce que les ennemis pouvaient faire en cette occasion, ne leur en donna pas le temps. Il fit appeler Asdrubal, qui avait à ses ordres les pionniers de l’armée, et lui ordonna de ramasser le plus qu’il pourrait de morceaux de bois sec et d’autres matières combustibles, de les lier en faisceaux, d’en faire des torches, de choisir dans tout le butin environ deux mille des plus forts bœufs, et de les conduire à la tête du camp. Cela fait, il dit à cette troupe de manger et de se reposer. Vers la troisième veille de la nuit, il fait sortir du camp les pionniers, et leur ordonne d’attacher les torches aux cornes des bœufs, de les