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POLYBE, LIV. III.

pernicieux de tous dans un général. Des troupes, sous un tel chef, passent le temps sans rien entreprendre, et l’on ne peut lui en confier le commandement sans s’exposer aux plus grands malheurs. La témérité, une confiance inconsidérée, une colère brutale, la vanité, l’orgueil, sont encore des défauts qui donnent prise à l’ennemi sur un général, et juste sujet à ses amis de s’en défier. Il n’y a point de piéges, point d’embuscades où il ne tombe, point d’hameçons où il ne morde. Si l’on pouvait connaître les faibles d’autrui, et qu’en attaquant ses ennemis on prît leur chef par l’endroit qui prête le plus à la surprise, en très-peu de temps on subjuguerait toute la terre. Ôtez d’un vaisseau le pilote qui le gouverne, bientôt le vaisseau et son équipage tomberont sous la puissance des ennemis : il en est de même d’une armée dont on surprend le général par adresse et par artifice.

C’est ainsi qu’Annibal prenant adroitement Flaminius par son faible, l’attira dans ses filets. À peine eut-il levé son camp d’autour de Fiésoles et passé un peu au-delà du camp des Romains, qu’il se mit à dévaster tout. Le consul irrité, hors de lui-même, prit cette conduite du Carthaginois pour une insulte et un outrage ; quand il vit ensuite la campagne ravagée et la fumée annonçant de tous côtés la ruine entière de la contrée, ce triste spectacle le toucha jusqu’à lui faire répandre des larmes ; alors ce fut en vain que son conseil de guerre lui dit qu’il ne devait pas se presser de marcher sur les ennemis, qu’il n’était pas à propos d’en venir si tôt aux mains avec eux, qu’une cavalerie si nombreuse méritait toute son attention, qu’il ferait mieux d’attendre l’autre consul et d’attendre jusqu’à ce que les deux armées pussent combattre ensemble ; non-seulement il n’eut aucun égard à ces remontrances, mais il ne pouvait même supporter ceux qui les lui faisaient. « Que pensent et que disent à présent nos concitoyens, leur disait-il en voyant les campagnes saccagées presque jusqu’aux portes de Rome, pendant que, derrière les ennemis, nous demeurons tranquilles dans notre camp ? » et sur-le-champ il se met en marche, sans attendre l’occasion favorable, sans connaître les lieux, emporté par un violent désir d’attaquer au plus tôt l’ennemi, comme si la victoire eût été déjà certaine et acquise. Il avait même inspiré une si grande confiance à la multitude, qu’il avait moins de soldats que de gens qui le suivaient dans l’espérance du butin, et qui portaient des chaînes, des liens et autres appareils semblables.

Cependant Annibal s’avançait toujours vers Rome par la Tyrrhénie, ayant Cortone et les montagnes voisines à sa gauche et le lac de Trasimène à sa droite. Pour enflammer de plus en plus la colère de Flaminius, en quelqu’endroit qu’il passât, il réduisait tout en cendres ; quand il vit enfin que ce consul approchait, il reconnut les postes qui pourraient le plus lui convenir, et se tint prêt à livrer bataille. Sur sa route il trouva un vallon fort uni ; deux chaînes de montagnes le bordaient dans sa longueur ; il était fermé au fond par une colline escarpée et de difficile accès, et à l’entrée était un lac entre lequel et le pied des montagnes il y avait un défilé étroit qui conduisait dans le vallon ; il passa par ce sentier, gagna la colline du fond, et s’y plaça avec les Espagnols et les Africains ; à droite, derrière les hauteurs, il plaça les Baléares et les autres gens de traits : il posta la cavalerie et les Gaulois derrière les hauteurs de la gauche, et les étendit