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POLYBE, LIV. III.

coup à souffrir : pendant quatre jours et trois nuits elle eut les pieds dans l’eau, sans pouvoir prendre un moment de sommeil. Mais les Gaulois souffrirent plus que tous les autres ; la plupart des bêtes de somme moururent dans la boue ; elles ne laissèrent pas, même alors, d’être de quelque utilité ; hors de l’eau, sur les ballots qu’elles portaient, on dormait au moins une partie de la nuit ; quantité de chevaux y perdirent le sabot. Annibal lui-même, monté sur le seul éléphant qui lui restait, eut toutes les peines du monde à en sortir ; un mal d’yeux qui lui survint le tourmenta beaucoup ; et comme la circonstance ne lui permettait pas de s’arrêter pour se guérir, cet accident lui fit perdre un œil.




CHAPITRE XVII.


Caractère de Flaminius. — Réflexions de Polybe sur l’étude qu’Annibal en fit. — Bataille de Trasimène.


Après être sorti de ce marais comme par miracle, le général carthaginois campa auprès pour donner quelque relâche à ses troupes, et parce que Flaminius avait établi ses quartiers devant Arétium dans la Tyrrhénie ; là il s’informa avec soin de la disposition où étaient les Romains, et de la nature du pays qu’il allait traverser pour aller à eux. On lui dit que le pays était bon, et qu’il y avait de quoi faire un riche butin ; et à l’égard de Flaminius, que c’était un homme doué d’un grand talent pour s’insinuer dans l’esprit de la populace, mais qui, sans en avoir aucun ni pour le gouvernement ni pour la guerre, se croyait très-habile dans l’un et dans l’autre. De là Annibal conclut que s’il pouvait passer au-delà du camp de ce consul, et porter le ravage dans la campagne sous ses yeux, celui-ci, soit de peur d’encourir les railleries du soldat, soit par chagrin de voir le pays ravagé, ne manquerait pas de sortir de ses retranchemens, d’accourir contre lui, de le suivre partout où il le conduirait, et de se hâter de battre l’ennemi par lui-même, avant que son collègue pût partager avec lui la gloire de l’entreprise, tous mouvemens dont il voulait tirer avantage pour attaquer le consul.

On doit convenir que toutes ces réflexions étaient dignes d’un général judicieux et expérimenté. C’est être ignorant et aveugle dans la science de commander les armées, que de penser qu’un général ait quelque chose de plus important à faire que de s’appliquer à connaître les inclinations et le caractère de son antagoniste. Comme dans un combat singulier, ou de rang contre rang, on ne peut se promettre la victoire, si l’on ne parcourt des yeux tout son adversaire pour découvrir quelle est la partie de son corps la moins couverte ; de même il faut qu’un général cherche attentivement dans celui qui lui est opposé, non quelle est la partie de son corps la moins défendue, mais quel est dans son caractère le faible et le penchant par où l’on peut plus aisément le surprendre ; il est beaucoup de généraux qui, mous, paresseux, sans mouvement et sans action, négligent non-seulement les affaires de l’état, mais encore les leurs propres ; il en est d’autres tellement passionnés pour le vin, qu’ils ne peuvent se mettre au lit sans en avoir pris avec excès. Quelques-uns se livrent à l’amour des femmes avec tant d’emportement, qu’ils n’ont pas honte de sacrifier à cet infâme plaisir des villes entières, leurs intérêts, leur vie même ; d’autres sont lâches et poltrons, défaut déshonorant dans quelque homme que ce soit, mais le plus