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POLYBE, LIV. II.

être touché de compassion, ni se passionner sur rien. C’est un spectacle fort triste que de voir frapper de verges un homme libre ; cependant, si ce n’est que la punition d’un crime qu’il a commis, cela passe avec raison pour justice ; et si cela se fait pour corriger et instruire, non-seulement on loue, mais on remercie encore ceux qui ont ordonné cette punition. Mettre à mort des citoyens, c’est un crime abominable et digne des derniers supplices ; cependant on fait mourir publiquement un voleur ou un adultère, sans crainte d’en être puni, et il n’y a point de récompense trop grande pour un homme qui délivre sa patrie d’un traître ou d’un tyran. Tant il est vrai que, pour juger d’un événement, on ne doit pas tant s’arrêter aux choses qui se sont faites qu’aux raisons et aux vues qu’on a eues en les faisant, et aux différences qui sont entre elles. Voici donc la vérité du fait.




CHAPITRE XI.


Les Mantinéens quittent la ligue des Achéens et sont reconquis par Aratus. — Ils joignent la perfidie à une seconde désertion et ils en sont punis. — Mort d’Aristomaque, tyran d’Argos.


Les Mantinéens se séparèrent d’abord volontairement des Achéens, pour se livrer eux et leur patrie aux Étoliens, et ensuite à Cléomène. Ils avaient pris ce parti, et se gouvernaient selon les lois des Lacédémoniens, lorsque, quatre ans avant qu’Antigonus les subjuguât, ils furent conquis par les Achéens, et leur ville emportée par l’adresse et les ruses d’Aratus. Or, dans ce temps‑là même, il est si peu vrai que leur séparation ait eu pour eux des suites fâcheuses, que ce dernier événement devint célèbre par le changement subit qui s’était fait dans le génie de ces deux peuples. En effet, Aratus n’eut pas sitôt été maître de la ville, qu’il défendit à ses troupes de toucher à rien de ce qui ne leur appartenait pas, et ensuite, ayant assemblé les Mantinéens, il leur dit de ne rien craindre et de demeurer comme ils étaient ; que tant qu’ils resteraient unis à la république des Achéens, il ne leur serait fait aucun mal. Un bienfait si peu espéré et si extraordinaire changea entièrement la disposition des esprits ; on oublia les combats qui venaient de se donner et les pertes qu’on y avait faites ; on se fréquenta les uns les autres, on se donna réciproquement des repas : c’était à qui se témoignerait le plus de bienveillance et d’amitié. Et certes les Mantinéens devaient cela aux Achéens et à leur chef, par qui ils avaient été traités avec tant de douceur et d’humanité, que je ne sais si jamais personne est tombé au pouvoir d’ennemis plus doux et plus indulgens, ni si l’on peut se tirer de plus grands malheurs avec moins de perte.

Dans la suite, voyant les séditions qui s’élevaient parmi eux, et ce que machinaient contre eux les Étoliens et les Lacédémoniens, ils dépêchèrent des députés aux Achéens pour leur demander du secours. On leur tira au sort trois cents hommes, qui, laissant leur patrie et leurs biens, partirent aussitôt pour Mantinée, et y restèrent pour défendre la patrie et la liberté de ce peuple. Les Achéens ajoutèrent encore à cette garde deux cents soldats mercenaires, qui devaient faire à Mantinée le même fonction. Peu de temps après une nouvelle sédition s’étant élevée parmi eux, ils appelèrent les Lacédémoniens, les mirent en possession de leur ville, et égorgèrent les Achéens qui s’y trouvèrent. On ne pouvait com-