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POLYBE, LIV. II.

voyant son temps prêt à expirer, dit à ses troupes, qu’ayant essuyé toutes les fatigues et tous les périls du siége, il était en droit de demander qu’après que la ville serait emportée, on lui confiât le soin du butin, et qu’on lui accordât l’inscription des armes. Quelques-uns, mais surtout ceux qui aspiraient à la même distinction, se récrièrent sur cette demande, et détournèrent les soldats de rien décider là-dessus avant que la fortune fît connaître à qui cette faveur serait due. Il fut cependant réglé que le nouveau préteur, qui prendrait la ville, partagerait avec son prédécesseur le soin du butin et l’inscription des armes

Le lendemain de cette décision, jour auquel le nouveau préteur devait être élu et entrer en charge, selon la coutume des Étoliens, arrivent, pendant la nuit, proche de Mydionie, cent bâtimens portant cinq mille Illyriens, qui, débarquant sans bruit au point du jour, et s’étant rangés en bataille à leur manière, s’en vont, partagés en petites colonnes, droit au camp des Étoliens. Ceux-ci furent d’abord frappés d’une descente si subite et si hardie ; mais ils ne rabattirent pour cela rien de leur ancienne fierté : ils comptaient sur le nombre et la valeur de leurs troupes, et firent bonne contenance. Ce qu’ils avaient d’infanterie pesamment armée et de cavalerie (et ils avaient beaucoup de l’une et de l’autre), ils le mirent en bataille dans la plaine à la tête du camp. Il y avait là quelques postes élevés et avantageux ; ils les firent occuper par une partie de la cavalerie et des soldats armés à la légère. Mais ceux-ci ne purent tenir contre les Illyriens, qui, au premier choc, les accablèrent de leur nombre et de leur pesanteur, et menèrent battant la cavalerie jusqu’aux soldats pesamment armés des Étoliens. Fondant ensuite des hauteurs sur les troupes rangées dans la plaine, ils les renversèrent avec d’autant plus de facilité, que les Mydioniens firent en même temps sur elles une vigoureuse sortie. Il en resta une grande partie sur le champ de bataille ; mais on fit un plus grand nombre de prisonniers, et on se rendit maître des armes et de tout le bagage. Les Illyriens, après avoir exécuté l’ordre de leur roi, chargèrent le butin sur leurs bâtimens, et reprirent la route de leur pays. Ainsi fut sauvée Mydionie, lorsqu’elle s’y attendait le moins.

On convoqua ensuite une assemblée des citoyens, où l’on discuta, entre autres choses, l’affaire de l’inscription des armes, et on y régla que l’on suivrait la loi que les Étoliens venaient d’établir, en sorte que l’inscription des armes serait commune et au préteur qui était actuellement en charge, et à ceux qui le seraient dans la suite. La fortune montre bien ici quel est son pouvoir sur les choses humaines, en favorisant tellement les Mydioniens, qu’ils couvrent leurs ennemis de la même infamie dont ils s’attendaient à être eux-mêmes couverts ; et la défaite inopinée des Étoliens nous apprend que l’on ne doit pas délibérer sur l’avenir, comme s’il était déjà présent ; qu’il ne faut point compter par avance sur des choses qui peuvent encore changer, et qu’étant hommes, nous devons, en toute occasion, mais surtout dans la guerre, nous attendre à quelque événement que nous n’aurons pu prévoir.

Au retour de la flotte, Agron, s’étant fait faire, par les chefs, le récit du combat, fut dans une joie extrême d’avoir rabaissé la fierté des Étoliens : mais s’étant adonné au vin et à d’autres plaisirs semblables, il y gagna une pleurésie qui le mit en peu de jours au tombeau.