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POLYBE, LIV. I.

annonçât une pour s’y joindre. Les femmes même, qui jusqu’alors avaient vu sans émotion traîner leurs maris et leurs parens en prison pour le paiement des impôts, ayant fait serment entre elles, dans chaque ville, de ne rien cacher de leurs effets, se firent un plaisir d’employer à la solde des troupes tout ce qu’elles avaient de meubles et de parures, et par là fournirent à Mathos et à Spendius des sommes si abondantes, que non-seulement ils payèrent aux soldats étrangers le reste de la solde qu’ils leur avaient promise pour les engager dans leur révolte, mais qu’ils eurent de quoi soutenir les frais de la guerre sans discontinuation. Tant il est vrai que, pour bien gouverner, il ne faut pas se borner au présent, mais qu’on doit porter aussi ses vues sur l’avenir, et y faire même plus d’attention !

Malgré des conjectures si fâcheuses, les Carthaginois ayant choisi pour chef Hannon, qui leur avait déjà auparavant soumis cette partie de l’Afrique qui est vers Hecatontapyle, ils assemblèrent des étrangers, firent prendre les armes aux citoyens qui avaient l’âge requis, exercèrent la cavalerie de la ville et équipèrent ce qu’il leur restait de galères à trois et à cinq rangs, et de plus grandes barques. Mathos, de son côté, ayant reçu des Africains soixante-dix mille hommes, et en ayant fait deux corps, poussait paisiblement ses deux siéges. Le camp qu’il avait à Tunis était aussi en sûreté, et, par ces deux postes, il coupait aux Carthaginois toute communication avec l’Afrique extérieure ; car la ville de Carthage s’avance dans le golfe, et forme une espèce de péninsule, environnée presque tout entière, partie par la mer et partie par un lac. L’isthme qui la joint à l’Afrique est large d’environ vingt-cinq stades. Utique est située vers le côté de la ville qui regarde la mer ; de l’autre côté sur le lac est Tunis. De ces deux postes, les étrangers resserraient les Carthaginois dans leurs murailles, et les y harcelaient sans cesse. Tantôt de jour, tantôt de nuit, ils venaient jusqu’au pied des murs, et par là répandaient la terreur parmi les habitans.

Hannon, pendant ce temps-là, s’appliquait sans relâche à amasser des munitions : c’était là tout son talent. À la tête d’une armée, ce n’était rien. Nulle présence d’esprit pour saisir les occasions, nulle expérience, nulle capacité pour les grandes affaires. Quand il se prépara à secourir Utique, il avait un si grand nombre d’éléphans, que les ennemis se croyaient perdus ; il en avait au moins cent. Les commencemens de cette expédition furent très-heureux ; mais il en profita si mal, qu’il pensa perdre ceux au secours desquels il était venu. Il avait fait rapporter de Carthage des catapultes, des traits, en un mot tous les préparatifs d’un siége ; et étant campé devant Utique, il entreprit d’attaquer les retranchemens des ennemis. Les éléphans s’étant jetés dans le camp avec impétuosité, les assiégeans, qui n’en purent soutenir le choc, sortirent tous, la plupart blessés à mort. Ce qui échappa, se retira vers une colline escarpée et couverte d’arbres. Hannon, accoutumé à faire la guerre à des Numides et à des Africains, qui, au premier échec, prennent la fuite et s’éloignent de deux et trois journées, crut avoir pleine victoire, et que les ennemis ne s’en relèveraient jamais : sur cette pensée, il ne songea plus, ni à ses soldats, ni à la défense de son camp ; il entra dans la ville, et ne pensa plus qu’à se bien traiter. Les étrangers réfugiés sur la colline étaient de ces soldats formés par Amilcar aux