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POLYBE, LIV. I.

Mathos. Cette réponse les piqua tellement, qu’à peine l’eurent-ils entendue ils se jetèrent sur l’argent qui avait été apporté, sur Gescon et sur les Carthaginois qui l’accompagnaient. Mathos et Spendius, persuadés que la guerre ne manquerait pas de s’allumer s’il se commettait quelque attentat éclatant, irritaient encore cette populace téméraire. L’équipage et l’argent des Carthaginois furent pillés ; Gescon et ses gens liés ignominieusement et jetés dans un cachot, la guerre hautement déclarée contre les Carthaginois, et le droit des gens violé par la plus impie de toutes les conspirations. Tel fut le commencement de la guerre contre les étrangers, et qu’on appelle aussi la guerre d’Afrique.




CHAPITRE XVI.


Extrémité où se trouvent les Carthaginois, et dont ils sont eux-mêmes la cause. — Siéges d’Utique et d’Hippone-Zaryte. — Incapacité du général Hannon. — Amilcar est mis à sa place. — Bel exploit de ce grand capitaine.


Mathos, après cet exploit, dépêcha de ses gens aux villes d’Afrique pour les porter à recouvrer leur liberté, à lui envoyer des secours, et à se joindre à lui. Presque tous les Africains entrèrent dans cette révolte. On envoya des vivres et des troupes, qui se partagèrent les opérations. Une partie mit le siége devant Utique, et l’autre devant Hippone-Zaryte, parce que ces deux villes n’avaient pas voulu prendre part à leur rébellion. Une guerre si peu attendue chagrina extrêmement les Carthaginois. À la vérité, ils n’avaient besoin que de leur territoire pour les nécessités de la vie ; mais les préparatifs de guerre et les grandes provisions ne se faisaient que sur les revenus qu’ils tiraient de l’Afrique : outre qu’ils étaient accoutumés à ne faire la guerre qu’avec des troupes étrangères. Tous ces secours non-seulement leur manquaient alors, mais se tournaient contre eux. La paix faite, ils se flattaient de respirer un peu, et de se délasser des travaux continuels que la guerre de Sicile leur avait fait essuyer, et ils en voyaient s’élever une autre plus grande et plus formidable que la première. Dans celle-là ce n’était que la Sicile qu’ils avaient disputée aux Romains ; mais celle-ci une guerre civile, où il ne s’agissait de rien moins que de leur propre salut et de celui de la patrie. Outre cela, point d’armes, point d’armée navale, point de vaisseaux, point de munitions, point d’amis ou d’alliés dont ils pussent le moins du monde espérer du secours. Ils sentirent alors combien une guerre intérieure est plus fâcheuse qu’une guerre qui se fait au loin et par-delà la mer ; et la cause principale de tous ces malheurs, c’étaient eux-mêmes.

Dans la guerre précédente, ils avaient traité les Africains avec la dernière dureté : exigeant des gens de la campagne, sur des prétextes qui n’avaient que l’apparence de la raison, la moitié de tous les revenus, et des habitans des villes une fois plus d’impôts qu’ils n’en payaient auparavant, sans faire quartier ni grâce à aucun, quelque pauvre qu’il fût. Entre les intendans des provinces, ce n’était pas de ceux qui se conduisaient avec douceur et avec humanité qu’ils faisaient le plus de cas, mais de ceux qui leur amassaient le plus de vivres et de munitions, et auprès de qui l’on trouvait le moins d’accès et d’indulgence : Hannon, par exemple, était un homme de leur goût. Des peuples ainsi maltraités n’avaient pas besoin qu’on les portât à la révolte, c’était assez qu’on leur en