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POLYBE, LIV. I.

qu’ils se voyaient secourus, ceux-ci parce qu’ils n’avaient encore rien souffert, convoque une assemblée des uns et des autres, et, par un discours où il promettait à ceux qui se signaleraient, et à tous en général, des présens et des grâces de la part de la république des Carthaginois, il sut tellement enflammer leur zèle et leur courage, qu’ils crièrent tous qu’il n’avait qu’à faire d’eux, sans délai, tout ce qu’il jugerait à propos. Le commandant, après leur avoir témoigné qu’il leur savait gré de leur bonne volonté, congédia l’assemblée et leur dit de prendre au plus tôt quelque repos, et du reste d’attendre les ordres de leurs officiers.

Peu de temps après, il assembla les principaux d’entre eux ; il leur assigna les postes qu’ils devaient occuper ; leur marqua le signal et le temps de l’attaque, et ordonna aux chefs de s’y trouver de grand matin avec leurs soldats. Ils s’y rendirent à point nommé. Au point du jour on se jette sur les ouvrages, par plusieurs côtés. Les Romains, qui avaient prévu la chose, et qui se tenaient sur leurs gardes, courent partout où leurs secours était nécessaires, et font une vigoureuse résistance. La mêlée devient bientôt générale, et le combat sanglant, car de la ville il vint au moins vingt mille hommes, et dehors il y en avait encore un plus grand nombre. L’action était d’autant plus vive, que les soldats, sans garder de rang, se battaient pêle-mêle, et ne suivaient que leur impétuosité. On eût dit que dans cette multitude, homme contre homme, rang contre rang, s’étaient défiés l’un l’autre à un combat singulier. Mais les cris et le fort du combat étaient aux machines. C’était ce que les deux partis s’étaient proposé dès le commencement, en prenant leurs postes. Ils ne se battaient avec tant d’émulation et d’ardeur, les uns que pour renverser ceux qui gardaient les machines ; les autres que pour ne point les perdre ; ceux-là que pour mettre en fuite ; ceux-ci que pour ne point céder. Les uns et les autres tombaient morts sur la place même qu’ils avaient occupée d’abord. Il y en avait parmi eux qui, la torche à la main et portant des étoupes et du feu, fondaient de tous côtés sur les machines avec tant de fureur, que les Romains se virent réduits aux dernières extrémités. Comme cependant il se faisait un grand carnage de Carthaginois, leur chef, qui s’en aperçut, fit sonner la retraite, sans avoir pu venir à bout de ce qu’il avait projeté ; et les Romains, qui avaient été sur le point de perdre tous leurs préparatifs, restèrent enfin maîtres de leurs ouvrages, et les conservèrent sans en avoir perdu aucun. Cette affaire finie, Annibal se mit en mer pendant la nuit, et, dérobant sa marche, prit la route de Drépane, où était Adherbal, chef des Carthaginois. Drépane est une place avantageusement située avec un beau port, à cent vingt stades de Lilybée, et que les Carthaginois ont toujours eu fort à cœur de se conserver.




CHAPITRE XI.


Audace étonnante d’un Rhodien, qui est enfin pris par les Romains. — Incendie des ouvrages. — Bataille de Drépane.


À Carthage, on attendait avec impatience des nouvelles de ce qui se passait à Lilybée. Mais les assiégés étaient trop resserrés, et les assiégeans gardaient trop exactement l’entrée du port, pour que personne pût en sortir. Cependant un certain Annibal, surnommé le Rhodien, homme distingué, et qui avait été témoin oculaire de tout ce qui s’était