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premiers Césars, un corps de Germains au service des empereurs, il est vraisemblable, comme l’observe le savant abbé Dubos, que ce corps peu nombreux n’était composé que des Germains sujets de l’empire.

Ainsi Rome n’a pas succombé sous les vices des Romains ; mais par la faiblesse qu’ils eurent d’admettre des étrangers dans l’armée, dans le sénat et dans toutes les dignités de l’empire. L’amour de la patrie s’affaiblit en s’étendant ; il s’anéantit lorsqu’il devint commun à tous ceux qui jouissaient des droits de citoyen romain, et n’avaient cependant jamais vu le Capitole.

Caracalla, prince fanatique, s’imagina d’être l’imitateur d’Alexandre-le-Grand, et mit sur pied une phalange de seize mille hommes choisis, qu’il fit armer à la macédonienne. Après lui, Alexandre Sévère forma une autre phalange de trente mille hommes ; mais ces organisations bizarres tombèrent dès leur abord, Alexandre Sévère tenta cependant de relever la discipline, et plusieurs fois n’hésita pas à casser des légions entières. L’esprit de sédition avait tellement gagné l’armée, que cette grande fermeté révolta, au lieu d’imposer.

Ce prince, d’ailleurs, fit à ses troupes des concessions d’un genre inconnu jusqu’à lui : il partagea les terres d’où il avait chassé les Barbares, et, pour les cultiver, donna aux soldats des esclaves et des bestiaux, pensant, dit Lampridius, qu’ils défendraient mieux les frontières lorsqu’elles seraient leur propriété. Ces terres devaient passer aux enfans, s’ils continuaient le service comme leur père, sinon la propriété en retournait à l’empereur.

Cette coutume subsista, et saint Augustin, au commencement du cinquième siècle de notre ère, en parle comme d’un usage établi, lorsqu’il dit dans son style théologien : « Les soldats, en recevant des bénéfices temporels d’un maître temporel, sont obligés de faire le serment militaire, et de jurer qu’ils conserveront la foi à leur seigneur. »

Ces bénéfices temporels donnés à des soldats dont on exigeait le serment sous la condition du service militaire, semblent avoir donné la première idée de ces possessions territoriales appelées fiefs, et cédées aux mêmes conditions.

Le nouvel arrangement d’Alexandre Sévère cantonna les légions sur la frontière, et dispersa les soldats sur des terres, au lieu de les tenir toujours rassemblés dans un camp. Ces soldats cultivateurs n’en furent ni plus reconnaissans, ni plus soumis, et l’indiscipline des armées augmenta de jour en jour. On faisait sans cesse des efforts pour la réprimer ; mais on ne suivait aucun plan, et Maximin lui-même, malgré sa férocité et l’abus qu’il fit de son pouvoir, ne put parvenir à ranimer entièrement la discipline dans son armée. Il faut croire aussi que les anciennes traditions sur l’art militaire s’effaçaient peu à peu, bien que la guerre fût le seul art qui produisît encore des hommes célèbres.

Mais déjà les armées dispensaient la puissance, le sénat ne possédait plus que de vains honneurs ; déjà Maximin, un étranger, un Barbare, avait obtenu le titre d’empereur. Le gouvernement n’agissait plus qu’avec violence, le fisc devenait un pillage, des ordres tenaient lieu de lois ; l’état courait à sa ruine.

Deux nations encore inconnues, les Francs et les Goths, se formaient dans les déserts du Nord et dans ceux de la Germanie, nations réservées par les destins pour la destruction de Rome, qu’elles ne connaissaient point, et dont elles étaient ignorées.