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succès d’un ennemi, ou d’une simple révolte.

Le cens était négligé. Il paraît qu’on ne tenait plus à Rome, ni dans les provinces, des registres semblables à ceux que la république avait possédés, et qu’elle consulta dans les momens d’alarmes. On peut soupçonner aussi que depuis Auguste, aucun empereur n’écrivit un livre pareil à celui où il fit l’exposé des forces de l’état.

On ne s’occupa d’aucun établissement pour lever des troupes purement italiennes ; on laissa les légions se remplir de Gaulois, de Bretons, de Grecs et d’Asiatiques, qui ne connaissaient ni Rome, ni son génie, ni sa constitution. On faisait pis encore en admettant dans les armées des corps entiers de Barbares, ennemis nés de l’empire, et commandés par des chefs de leur pays.

Si l’on compare Rome à elle-même, l’empire à la république, on verra que la plus belle période des temps de la liberté, à compter depuis la fin de la seconde guerre punique jusqu’au retour de Sylla en Italie, eut un peu moins de durée que celle qui s’écoula sous les cinq empereurs, Néron, Trajan, Hadrien, Antonin et Marc-Aurèle.

Cette première période fut troublée par la conjuration des Gracques, l’assassinat de l’un d’eux, les meurtres de Nonius et de Memnius, la guerre des alliés, qui fut une véritable guerre civile ; par les querelles des patriciens du sénat et du peuple, qui amenèrent les dissensions de Sylla et de Marius, et les proscriptions.

Enfin (et c’est ce qui importe beaucoup dans cette grande question du bonheur du genre humain), la république romaine commandait à bien moins de peuples que Trajan et les quatre empereurs qui lui succédèrent : sous leur règne, les esclaves étaient moins opprimés, et les habitans des provinces avaient acquis plus de droits.

On peut penser autrement ; mais, pour juger du bonheur des nations, et n’être pas trompé par les préjugés de collége, l’éloquence d’un Tacite et l’éclat d’une constitution éblouissante, j’ai cherché des bases qui ne dépendent ni du caprice de l’opinion ni du style de l’écrivain.

J’examine : 1o si l’état militaire est trop fort ou trop faible ; 2o si la discipline exacte ou relâchée contient les troupes ; 3o si les impôts sont proportionnés à la richesse des particuliers ; 4o si le numéraire se multiplie ou devient rare, parce qu’il est le signe qui sert à mesurer l’accroissement ou l’affaiblissement de l’agriculture, des arts, du commerce et de l’industrie ; 5o si la valeur des terres s’élève ou s’abaisse, car de là dépend la mesure du bonheur des propriétaires et de la solidité des possessions ; 6o enfin, si la population augmente ou diminue, ce qui devient une preuve de la prospérité générale.

Les résultats donnés par des observations constantes sur ces six objets forment un thermomètre politique dont on peut suivre la gradation, et qui marque d’une manière certaine l’état de la prospérité ou du malaise des peuples. Il n’est au pouvoir d’aucun prince de faire monter ce thermomètre quand la nation est malheureuse, et toutes les déclamations des orateurs ne peuvent le faire baisser quand elle prospère.

L’empire éprouva cependant des malheurs pendant le règne de ces princes ; mais ils étaient de ceux que la nature impose et que la sagesse humaine ne peut prévoir. La peste ravagea presque toutes les provinces sous Marc-Aurèle ; un tremblement de terre détruisit Antioche sous Trajan ; son palais