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à la fortune, et de n’y considérer que la force.

On voit souvent, il est vrai, qu’après une victoire, César dispensait de monter la faction, laissait une grande liberté à ses troupes, et lâchait la bride au libertinage ; il voulait prouver, disait-il, que ses soldats pouvaient combattre avec bravoure, même étant parfumés.

Mais César, qui faisait la guerre à toute la vertu de la république, parce qu’il ne la croyait plus sincère, affectait de mépriser la régularité des armées. Il ne suivit pas ces maximes dangereuses lors de ses campagnes contre les Gaulois ; il ne les eut pas pratiquées dans la guerre qu’il se préparait de faire aux Parthes, quand il eût concentré dans sa personne l’état tout entier. Près de l’ennemi, César contenait toujours ses troupes avec la plus exacte discipline, et l’on trouve plusieurs exemples de la sévérité de ce grand homme de guerre, lorsqu’il la croyait nécessaire à ses intérêts.

Tout dégénérait sous le règne de Claude ; il fallait un général tel que Corbulon, pour soutenir la discipline qui se précipitait vers sa ruine, et entraînait après elle le salut de l’état. Dès la première campagne qu’il fit en Germanie, il ramena aux anciennes mœurs les légions abâtardies par la licence ; onze ans après, lorsqu’il commanda Arménie, il eut à exercer une réforme encore plus rigoureuse. Parmi les deux légions qui lui venaient de Syrie, il se trouvait des vétérans qui n’avaient jamais fait de gardes, et regardaient avec étonnement une palissade et un fossé.

D’abord, Corbulon licencia ceux que la vieillesse ou la mauvaise santé rendaient inutiles. Toute l’armée passa l’hiver sous des tentes, bien que le temps fût si rigoureux, qu’un grand nombre de soldats eurent les membres gelés, et que d’autres moururent en faction. Corbulon donnait l’exemple ; vêtu légèrement, la tête nue, présent dans les travaux, on le rencontrait sans cesse pour louer les gens de cœur et encourager les faibles.

Comme le climat et la discipline rebutaient un grand nombre de soldats, et que la désertion se mettait dans son armée, ce général y remédia par la sévérité ; il ne pardonnait pas une première faute ; tout déserteur était puni de mort. La suite fit voir que cette rigueur diminuait le nombre des châtimens, et qu’elle valait mieux que l’indulgence.

Ce fut Corbulon qui, après avoir repoussé les Germains au nord de la Gaule, alla vaincre les Parthes et les chasser de l’Arménie. Tiridate, roi de cette contrée, et frère de Velagèse, roi des Parthes, se croyait en droit de tenir sa couronne de son frère, dont il l’avait reçue ; mais Corbulon le força à la déposer dans le camp romain, aux pieds de la statue de Néron, et d’aller à Rome la demander à cet empereur.

Néron, assis sur une chaise curule, environné des enseignes de la garde prétorienne, reçut Tiridate dans le Forum, en présence du sénat et du peuple assemblé. Tiridate s’avança entre deux haies de soldats en armes, se prosterna devant l’empereur, se déclara son esclave, le pria de lui prescrire quel rang il occuperait à l’avenir. Un prétorien interprétait ses paroles à l’assemblée.

« Je vous fais roi d’Arménie, lui répliqua Néron ; je vous donne ce trône que votre père n’eut pas la puissance de vous transmettre, que vos efforts et ceux de vos frères n’ont pu vous assurer. Je vous en fais don, afin que vous