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les parties faibles, il cherche à nous donner le change ; on sent qu’il craint notre jugement.

« Si l’on demandait, dit le judicieux Puységur, pourquoi César a été battu près de Dyrrachium, je dirais que c’est pour agir contre les principes ; tandis qu’on le voit, à Pharsale, attaquer dans une plaine une armée de moitié plus forte que la sienne, et dont la cavalerie est de sept mille chevaux contre mille, et qu’il trouve dans la science les ressources pour faire remporter la victoire. »

Le coup porté à César dans une situation si critique pouvait raisonnablement paraître décisif. Il avait abandonné ses lignes, et ses soldats, inférieurs en nombre, affaiblis encore par le dernier combat, déchus même de leur propre estime, ne pouvaient, suivant toute apparence, tenir de long-temps la campagne contre un adversaire si redoutable par sa réputation et sa supériorité.

Cependant César ne fut point accablé. Il savait quelles ressources lui offrait une armée instruite par une longue expérience à compter sur sa propre valeur et sur son général ; il ne voulut voir dans leur consternation que des marques d’indignation et de rage, et, au lieu de flétrir les cœurs par des reproches honteux, il sut préparer avec art les plus douces consolations.

« Si la fortune, dit-il, nous est contraire pour la première fois, c’est à nous de réparer nos pertes avec autant d’ardeur que de fermeté. Les difficultés ne servent qu’à exciter la bravoure et à réveiller le courage : vous le savez par l’expérience que vous en avez déjà faite. Tous ceux d’entre vous qui se sont trouvés à Gergovie doivent se souvenir de ce que peuvent la persévérance et une valeur opiniâtre. »

Toutefois, ne pouvant se dissimuler que plusieurs des siens avaient donné un exemple infâme, il chassa quelques enseignes auxquels il imputa l’erreur des troupes, qui doivent toujours suivre leurs drapeaux. Les légions, mornes et consternées, éprouvèrent la plus vive impatience de réparer leur faute.

Les officiers conseillèrent à César de profiter de cette heureuse disposition des troupes pour terminer la querelle sur les lieux mêmes qui venaient d’être témoins de leur disgrâce ; mais César ne voulait pas mettre sa fortune au hasard d’un accès de courage ; il attendait de chacun de ses soldats une confiance raisonnée de soi-même, et non pas un mouvement de fureur excité par le désespoir.

César avait beaucoup de blessés et de malades. Ne possédant derrière lui aucun poste pour couvrir sa communication avec le pays, il craignit de manquer bientôt de vivres, et résolut de décamper. À la nuit, il envoya en avant les malades et les blessés avec tous ses bagages, et défendit de faire halte avant d’atteindre Apollonie, éloignée de trente milles.

À trois heures du matin, le gros de l’armée sortit du camp par différentes portes, et, dans un profond silence, prit la même direction. Deux légions qui formaient l’arrière-garde partirent au bruit d’une marche ordinaire après un délai suffisant, pour faire supposer à l’ennemi que l’avant-garde commençait seulement à se mouvoir. Ainsi l’armée entière, se trouvant en marche sans le moindre embarras, n’eut pas de peine à gagner beaucoup d’avance sur Pompée.

Aussitôt que ce général eut connaissance de la retraite, il s’élança sur les traces de César, dont sa cavalerie atteignit l’arrière-garde au passage du fleuve