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car Méquinensa, que l’on prend pour cette ville, est située sur les hauteurs qui sont de l’autre côté de la Sègre, et l’on ne pourrait y arriver sans passer le fleuve, comme César le dit d’Octogesa.

Si Afranius et Petreius avaient fait suivre immédiatement les deux légions par le reste de l’armée, sans que ses troupes s’arrêtassent dans le nouveau camp, on peut dire qu’il n’était pas au pouvoir de César de s’opposer à cette marche décisive.

Le gué n’était pas encore trouvé ; la nécessité de faire un détour de plus de quatorze milles en passant sur le seul pont établi au dessus de Balaguer, ne lui laissait aucune espérance d’arrêter ni même d’atteindre une armée qui n’avait que sept petites lieues à parcourir. Mais les généraux de Pompée regardèrent probablement l’entreprise de saigner la Sègre pour la rendre guéable, comme très-longue, et peut-être comme chimérique.

César n’osait se flatter d’être en état d’accomplir en ce moment son dessein. L’eau allait encore jusqu’aux épaules des fantassins qui avaient tenté le passage, et la rapidité du torrent ne semblait pas permettre à des légions entières de traverser ce fleuve au moyen d’un gué si peu sûr et si dangereux.

Cependant, dès qu’il eut avis du décampement, César fit passer toute sa cavalerie, lui ordonnant de marcher de suite à l’ennemi, de l’inquiéter sur ses flancs et à l’arrière-garde, de gagner même les devans, et de profiter de toutes les occasions que le terrain et le succès des attaques ferait naître, afin de le retarder dans ses mouvemens. Elle partit, et gagna par son gué l’autre bord de la rivière, presque aussi promptement que les troupes de Pompée qui défilaient sur le pont de pierre avec un grand train d’équipages.

Quand le jour parut, les légionnaires de César, instruits de ce qui s’était passé pendant la nuit, et poussés par un motif de curiosité très-ordinaire, montent en grand nombre sur les hauteurs voisines du camp pour examiner la marche de l’armée ennemie. Ils se sentirent saisis du plus vif intérêt en voyant cette armée aux prises avec leur cavalerie, entamée par elle de tous côtés, et contrainte de s’arrêter souvent pour ne pas perdre son arrière-garde.

Une scène aussi singulière présentée aux yeux de ces vieux soldats, échauffa leur courage et leur imagination. Ils souhaitèrent ardemment d’être de la partie, et bientôt la rivière, qui semblait devoir mettre un obstacle à cette noble ardeur, parut aussi guéable pour l’infanterie qu’elle l’avait été pour les cavaliers. On doit croire que César excita cette fermentation, bien qu’il parut plutôt céder au-désir de ses troupes, que de se servir de son autorité. Mais déjà les mesures les plus sages étaient prises pour que cette tentative hardie ne vînt pas échouer dans son exécution. Il fit entrer dans la rivière un grand nombre de bêtes de somme, les plaçant en dessous et au dessus du gué, afin de rompre la violence du courant. Les troupes passèrent ainsi la rivière avec facilité. Quelques fantassins furent entraînés par la rapidité des eaux, mais les cavaliers les reprirent et les sauvèrent sans peine ; de sorte qu’il ne périt pas un seul homme.

César rangeait cette infanterie en bataille à mesure qu’elle arrivait. Il la disposa sur trois lignes, et se mit ensuite en marche en formant trois colonnes. Mais il ne jugea pas à propos