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mer le projet le plus beau, le plus vaste qu’il fût donné à un homme de concevoir.

L’histoire d’Annibal et les succès de Spartacus abrègent à ses yeux les difficultés d’une telle entreprise. Il va traverser la Scythie, la Pannonie, pénétrer dans les Gaules, où des alliances sont déjà formées ; puis, franchissant ces montagnes célèbres, dont chaque rocher doit lui redire la gloire du héros de Carthage, il marche droit à Rome avec une armée grossie des peuples impatiens du joug. Ainsi c’est au moment où ces fiers républicains sont occupés à se partager les dépouilles de l’Asie, que leur puissance doit s’écrouler à jamais.

Conçu et exécuté par Mithridate, ce plan devait réussir. Malheureusement les principaux officiers de son armée, auxquels il en fit confidence, ne virent dans un projet aussi hardi que la grandeur d’âme et le courage d’un prince qui voulait mourir comme il avait vécu. Vous savez que Pharnace, celui de ses enfans que Mithridate aimait le plus tendrement, l’ingrat Pharnace profita de ces dispositions pour conspirer contre son père, et le réduire à se donner la mort.

Ainsi périt le héros de l’Asie, après avoir régné soixante ans. Pompée lui fit célébrer des obsèques magnifiques. Quelques places fortes de Pont, qui restaient à Mithridate, se rendirent. On trouva dans un seul château jusqu’à deux mille vases d’onyx et une quantité prodigieuse de meubles d’or et d’argent. Pompée choisit ce qu’il y avait de plus précieux, et s’en servit pour orner son triomphe, le plus splendide que l’on eût vu.

Les Romains terminaient à peine cette guerre de trente années, que Licinius Crassus, nommé consul dans le département de la Syrie, crut entrevoir de grands avantages pour lui et pour la république s’il parvenait à subjuguer un autre peuple de l’Asie, qui avait fait alliance avec Sylla.

Les Parthes, destinés à rétablir la monarchie des Perses, montraient déjà un royaume plein de vigueur au moment où Crassus forma cette entreprise. Cependant il traversa l’Euphrate, ravagea la Mésopotamie sans éprouver de résistance, et, après avoir prolongé ses opérations jusqu’à la fin de l’automne, se replia sur la Syrie pour y passer l’hiver. Son fils Publius alla l’y rejoindre, venant de l’armée des Gaules où César lui permit de se rendre auprès de son père, avec mille cavaliers.

Orodes, roi des Parthes, envoya des ambassadeurs qui dirent au consul que, si la guerre se faisait par ordre du sénat, on combattrait à outrance ; mais que si c’était seulement (comme on le disait à Rome) pour assouvir la cupidité de Crassus, Orodes lui faisait savoir qu’il avait pitié de sa vieillesse, et consentait à ce qu’il se retirât lui et ses troupes.

Il paraît que les présages les plus funestes s’attachaient à cette expédition, et l’on avait murmuré hautement dans Rome à l’aspect des préparatifs de Crassus. Le tribun Atteius, ne pouvant vaincre l’opiniâtreté du consul, le dévoua aux Dieux infernaux lui et toute son armée ; cérémonie qui eut lieu devant un brasier ardent, au moment où Crassus passa sous une des portes de la ville.

Vraisemblablement le consul méprisait, et avec raison, une farce aussi absurde ; mais il ne songea pas assez aux effets qu’elle produirait sur l’esprit du soldat.

Il avait trouvé dans la Galatie Dejotarus, déjà avancé en âge, qui fondait une ville. « Quoi, lui dit Crassus, vous bâtissez quand il ne vous reste plus