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Il employa les loisirs de ses vieux soldats à creuser des ports autour de la ville ; leur fit planter l’olivier sur la côte d’Afrique ; encouragea l’agriculture et le commerce ; sut ménager à sa patrie des alliances avec les rois grecs successeurs d’Alexandre ; et destina Carthage à devenir un jour le centre et le lien d’une ligue générale de tous les peuples contre la puissance qui devait un jour les vaincre et les subjuguer.

Les Romains mériteraient l’indignation des siècles pour les persécutions qu’ils exercèrent contre ce grand homme, si leur animosité ne se trouvait en quelque sorte justifiée par celle d’Annibal même, lorsque, imperturbable dans ses sentimens, il vouait à ce peuple une haine éternelle.

Pendant les seize années que ce général resta en Italie, les Gaulois firent la principale force de ses troupes. Toutefois, ils ne tentèrent rien qui fût digne d’Annibal ni de leurs aïeux. On ne vit point plusieurs hordes se réunir pour attaquer Rome ; aucun des rois transalpins ne franchit les monts. Les Gaulois semblent ne pas comprendre que leur liberté dépend des succès d’Annibal ; rien ne prouve mieux l’ignorance et le défaut de politique.

Ceux qui servaient dans son armée, gardèrent leurs armes et leurs mœurs. Ils combattirent presque nus à la bataille de Cannes, se servant toujours de leur mauvaise épée, suspendue par une chaînette de fer sur la cuisse droite. Les Espagnols, vêtus de tuniques blanches, brodées de pourpre, faisaient usage d’une arme plus courte et beaucoup meilleure ; on voit qu’ils se trouvaient déjà moins barbares que les peuples de la Gaule ; et c’était le fruit de leur antique commerce avec les Phéniciens.

Après la bataille de Cannes, l’Apulie, la Campanie, la Lucanie, presque toutes les provinces méridionales qu’on appelait la Grande-Grèce, traitèrent de leur indépendance avec Annibal. Les villes d’origine grecque, se crurent bien plus libres en se dispensant de fournir des secours aux Carthaginois, qu’en les aidant contre Rome leur ennemie naturelle.

Chacun s’isole pour prouver sa liberté ; aucune grande confédération ne se forme ; Annibal n’obtient de secours que ceux qu’il arrache. Il est contraint d’affaiblir son armée en accordant des garnisons à des villes qui auraient dû lui envoyer des troupes, et surtout se garder elles-mêmes, si elles avaient su se rendre dignes d’être libres.

Toute la Gaule Cisalpine se souleva ; mais elle ne se confédéra point. Rome, qui devait succomber contre tant d’ennemis réunis, fut toujours plus forte que chacun d’eux.

Pour contenir la Gaule, le consul Posthumius s’avance, avec quinze mille hommes, au travers de la forêt de Litane. Les Boïes le surprennent, enveloppent ses légions, et lui-même ne peut échapper au massacre. On s’attend à voir les Gaulois marcher sur Rome après une telle victoire ; un préteur garde les passages de l’Étrurie et de l’Ombrie, et cette démonstration suffit pour les contenir.

Annibal eut autant à se plaindre de ses alliés d’Italie, que des Gaulois et de Carthage. Cette république s’occupait bien plus de conserver l’Espagne où elle avait des mines d’or, et de reprendre la Sicile qui faisait avec elle un commerce productif, que de soumettre l’Italie dont la conquête pouvait se faire au profit d’une des factions qui divisaient ses intérêts politiques. Carthage ne comprit pas qu’il fallait écraser Rome ou subir son joug.

Quant aux Romains, non seulement