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d’hiver, et ce séjour, dit-on, devint funeste à son armée.

Mais si la fortune cessa de favoriser Annibal, ce ne fut pas, quoi qu’en dise Tite-Live, parce que les délices de Capoue avaient amolli ses soldats et altéré la discipline, puisqu’il se maintint encore en Italie treize à quatorze ans, qu’il prit des villes et remporta des victoires ; que s’il éprouva des revers, ses troupes, toujours fidèles à ses ordres, s’exposèrent sans murmurer à de nouvelles fatigues, et Polybe fait observer que telle critique que fût sa position, il n’y eut jamais de défection dans ses rangs. La vraie cause du peu de progrès d’Annibal pendant les campagnes suivantes, est toute entière dans le choix des bons généraux que l’on put enfin lui opposer.

La ruine de Sagonte et les succès des Carthaginois du côté de l’Italie, n’avaient point empêché les Romains de se maintenir en Espagne. Les deux Scipion Publius et Cnæus, se trouvaient à la tête de forces respectables ; ces généraux jouissaient de la plus haute réputation, et la méritaient.

Asdrubal ayant reçu l’ordre de conduire son armée en Italie, était en pleine marche pour s’y rendre. Les deux frères sentirent la nécessité d’empêcher une jonction qui allait devenir funeste à la république ; ils résolurent de tout tenter pour forcer Asdrubal à retourner sur ses pas.

Le Carthaginois, qui aurait dû deviner que le dessein des proconsuls était de l’attirer vers eux, commit la faute énorme de se laisser détourner de son but, et accepta la bataille. Ses troupes essuyèrent un tel désastre, qu’Asdrubal ne pouvait plus songer à retourner en Italie. La nouvelle d’une pareille victoire, décisive dans les circonstances, fut la première consolation que reçurent les Romains après les revers sanglans qu’ils avaient éprouvés.

Cette bataille, livrée près de Tortose, ne diffère, pour les dispositions tactiques, de celle de Cannes, qu’en ce que Asdrubal ne jeta pas en avant le centre de son armée ; mais dans l’une comme dans l’autre, la meilleure infanterie carthaginoise fut placée aux ailes, le centre plia, et celui des Romains se porta en avant.

Pour remédier au désordre qu’un angle saillant produit dans une ligne pleine, les Scipion conservèrent aux légions la mobilité de l’ordonnance par manipules, et isolèrent ces petits corps de manière à ce que le mouvement qu’une partie de la ligne pouvait faire, n’eût aucune influence sur le reste. Ainsi les princes ne vinrent pas s’enchâsser dans les hastaires ; mais une partie de l’infanterie légère occupa les intervalles de la première ligne, afin d’empêcher l’ennemi d’y jeter des pelotons.

Ce succès ramena ceux que l’éloquence et la vertu des Scipion ne pouvaient persuader. Un corps considérable de Celtibères se joignit à eux. De leur côté, les Carthaginois venaient de recevoir un renfort de cavalerie Numide, commandé par un jeune prince africain de la plus haute espérance. C’était Massinissa, dont l’activité impétueuse ne laissait aucun repos aux Romains.

Les Carthaginois comptaient alors trois armées, commandées par trois généraux différens. Les deux Scipion ayant réuni leurs forces, se voyaient maîtres d’attaquer l’ennemi le plus proche ; leur supériorité répondait de la victoire. Toutefois, ils craignirent que les deux autres généraux ne parvinssent à se retirer dans des lieux de difficile accès, et qu’on ne prolongeât la guerre ;