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presque aussitôt le convexe formé par les Gaulois et les Espagnols.

Le choc fut terrible ; et cependant cette infanterie naturellement brave le soutint pendant quelque temps, malgré l’infériorité des armes. À la fin, ne pouvant plus résister à cette masse énorme qui la pressait, elle se vit obligée de reculer en aplatissant le saillant de la courbe.

Cette attaque vigoureuse devait altérer de part et d’autre les premières dispositions. La véhémence même du choc entraîna en avant le centre des Romains ; les triaires et les vélites, pensant qu’il ne s’agissait que d’appuyer pour faciliter la victoire, s’aboutèrent à la première ligne. Les soldats se serrèrent obliquement des ailes au centre qui prit la forme d’un angle obtus ; les rangs commencèrent à se confondre.

Sur ces entrefaites, Asdrubal, ayant détruit ou mis en fuite les cavaliers légionnaires, se porta du côté des Numides qui, malgré leur petit nombre, maintenaient les alliés. L’approche d’Asdrubal mit l’épouvante parmi cette cavalerie ; elle prit honteusement la fuite, et se répandit dans la plaine. Varron, qui s’était mis à sa tête, ne songea pas à la rallier, ou ne put y parvenir. Asdrubal détacha les Numides à la poursuite de ces fuyards, et se hâta d’aller seconder l’infanterie.

Mais plus les légions des ailes se serraient vers le centre, plus ce point gagnait en impulsion. Enfin le coin, formé par la ligne romaine, ayant tant avancé que ses côtés obliques approchaient de droite et de gauche des Africains ; Annibal, qui ne voulait plus laisser perdre de terrain à ses Gaulois et à ses Espagnols, fit doubler leurs rangs par son infanterie légère. Ce renfort arrêta la marche des légions, et le centre des Carthaginois prit la forme d’une ligne concave.

Il est étonnant que les généraux romains n’aient rien soupçonné de l’inaction des Africains qui, contre leur habitude, n’avaient pris encore aucune part au combat. Annibal venait de conduire sa manœuvre avec tant d’adresse et de précision, que les circonstances montrèrent à ces vieux guerriers ce qu’ils avaient à faire.

Les légions leur présentaient le front des deux côtés, en lignes obliques ; ils se trouvèrent bientôt en état d’embrasser les deux faces par de simples demi-quarts de conversion ; et ils les exécutèrent avec une vitesse proportionnée à la distance où chaque section se trouvait des Romains.

À mesure que les Africains arrivèrent à portée, ils chargèrent l’ennemi, lançant le pilum suivant la manière du soldat légionnaire, et se mêlant ensuite l’épée à la main. Cette attaque, qu’on aurait dû prévoir, puisqu’elle se manifestait assez par les dispositions antérieures, démasqua enfin la ruse d’Annibal.

Le combat fut très désavantageux pour les Romains : serrés et attroupés, ils ne pouvaient faire usage de leurs armes. Les Africains poussant toujours ces faces obliques de la ligne, la rompirent en plusieurs endroits et la prirent de flanc. Nul effort ne fut capable de ramener l’ordre.

C’est en vain que Paul-Émile, témoin du désastre de sa cavalerie, accourut au secours des légions. Sa présence ne put rien contre des fautes qui étaient irréparables. Il perdit la vie en combattant avec courage, lui et le proconsul Servilius qui, ayant commandé au centre, s’était flatté long-temps de la victoire.

Pour achever la confusion, Asdrubal avec ses escadrons victorieux, arriva sur les derrières de l’infanterie. Elle avait fait jusque là les plus généreux

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