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POLYBE, LIV. XXXIX.

engendrent la satiété, que le palais ne peut en supporter l’uniformité et demande le changement ; car il préfère même des alimens ordinaires à des mets recherchés, pourvu qu’ils varient. Il en est encore de même de la vue qui s’épuise si elle contemple un seul objet, tandis qu’elle se plaît dans leur diversité. Chacun peut voir que ces observations s’appliquent également à l’âme ; car les changemens de travaux sont comme des repos pour l’homme laborieux. (Angelo Mai et Jacobus Geel, ubi suprà.)


Ceux des anciens historiens qui ont le plus de célébrité me paraissent s’être ainsi délassés, les uns par des digressions fabuleuses et descriptives, les autres par des faits positifs ; de sorte qu’ils ne parcouraient pas seulement les contrées mêmes de la Grèce, mais encore celles qui lui sont étrangères. Ainsi, après avoir parlé de la Thessalie et des actions d’Alexandre de Phère, ils passent aux invasions des Lacédémoniens dans le Péloponnèse, reviennent ensuite à celles des Athéniens, et enfin vous entretiennent des affaires de la Macédoine et de l’Illyrie. Paraissent ensuite l’expédition d’Iphicrate en Égypte, et les hauts faits de Cléarque dans le royaume de Pont. On trouvera sans doute que ceux d’entre eux qui se servent de cette manière d’écrire manquent d’ordre, et qu’au contraire nous en mettons beaucoup dans nos récits ; car s’ils rappellent comment Brudyllis, roi d’Illyrie, et Chersobleptès, roi de Thrace, s’emparèrent du pouvoir. Ils n’ajoutent pas ce qui y fait suite, et ne remontent pas à ce qui accompagne ou précède ce fait ; mais, comme dans un poëme, ils reviennent toujours à leur premier sujet. Nous, au contraire, nous ne jetons la lumière que sur les lieux les plus célèbres de la terre, et sur les faits qui s’y sont accomplis ; et, suivant une seule et même route, dans un ordre invariable, nous parcourons ce que chaque année comporte d’evènemens, et nous laissons aux amateurs de science le soin de remonter au principe des faits, comme de rechercher ceux qui ont été laissés en chemin, pourvu que les lecteurs qui nous ont suivis pas à pas se trouvent satisfaits de notre ouvrage. Assez donc sur ce sujet. (Ibid.)


III.


Lorsque Asdrubal, général des Carthaginois, embrassait en suppliant les genoux de Scipion, le Romain se tournant vers ceux qui l’accompagnaient : « Voyez, dit-il, comme la fortune sait faire servir d’exemples les hommes imprévoyans. Celui-ci est ce même Asdrubal qui naguère, lorsque nous lui proposions des conditions honorables, répondait qu’il préférait s’ensevelir dans l’incendie de sa patrie : le voici maintenant qui nous supplie de lui accorder la vie, et qui met en nous tout son espoir. Tout homme qui a sous les yeux un semblable spectacle, ne doit-il pas se dire intérieurement que des paroles ou des actions superbes ne conviennent point à la nature humaine ? » Des transfuges ayant alors escaladé la muraille, demandèrent à ceux qui combattaient au premier rang de cesser un moment l’attaque. Scipion en ayant donné l’ordre, ils commencèrent à couvrir Asdrubal d’injures : les uns le traitaient de parjure, en lui rappelant que souvent il leur avait juré aux pieds des autels de ne les pas abandonner ; les autres lui remontraient sa lâcheté et son ignominie, et ces reproches étaient