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ARRIEN, LIV. I.

romates, les Iazyges ; plus loin les Gètes, partisans du dogme de l’immortalité ; ici la nation des Sauromates ; et enfin les Scythes qui s’étendent jusqu’aux lieux où le fleuve se précipite dans le Pont par cinq bouches. Alexandre s’empare de quelques bâtimens longs qui, de Byzance, étaient venus sur le fleuve par l’Euxin ; embarque autant d’hommes de traits et d’hoplites qu’ils en peuvent contenir, et vogue vers l’île où les Triballiens et les Thraces s’étaient réfugiés. Il fait d’inutiles efforts pour prendre terre : les Barbares, accourus de toutes parts, défendent la rive. Le petit nombre de vaisseaux et de soldats, la côte escarpée, la rapidité du fleuve resserré dans son lit, tout présente des obstacles insurmontables.

Alexandre fit remonter ses vaisseaux, résolu de traverser l’Ister et de fondre sur les Gètes, habitans la rive opposée. Ils accourent pour le repousser au nombre de quatre mille chevaux, et de plus de dix mille hommes de pied : leur présence achève de le déterminer. Il s’embarque ; à son ordre, on forme des outres avec les peaux des tentes, on les remplit de paille ; on s’empare d’une multitude de canots dont se servaient les habitans du pays pour la pêche, le commerce et même le brigandage : à l’aide de ces préparatifs, on passa en aussi grand nombre que l’on put. Quinze cents cavaliers, quatre mille hommes de pied, traversèrent avec Alexandre, protégés par la nuit et par la hauteur des blés qui dérobaient leur passage à la vue de l’ennemi. Au point du jour, Alexandre dirige sa troupe par les moissons ; l’infanterie s’avance, courbe les épis du travers de ses piques, et gagne ainsi un terrain découvert. La cavalerie suit la phalange. Au sortir des blés, Alexandre mène sa cavalerie à l’aile droite ; Nicanor dirige obliquement la phalange. Les Gètes ne supportent point le premier choc de la cavalerie. L’audace inouïe avec laquelle Alexandre, dans une seule nuit, et sans jeter un pont, a traversé si facilement le plus grand fleuve, le développement de la phalange et l’impétuosité de la cavalerie, tout les frappe de terreur. Ils fuient vers leur ville, qui n’est éloignée de l’Ister que d’un parasange. À l’aspect des dispositions d’Alexandre qui, pour éviter toute surprise, fait marcher la phalange le long du fleuve, la cavalerie en front, ils abandonnent une ville mal fortifiée, chargent sur leurs chevaux autant de femmes et d’enfans qu’ils en peuvent emmener, s’écartent loin des rives, et s’enfoncent dans les déserts.

Alexandre s’empare de la ville et de tout ce qu’ont abandonné les Gètes ; il charge Méléagre et Philippe du butin. La ville est rasée ; le vainqueur sacrifie sur les bords de l’Ister, à Jupiter Sôter, à Hercule et au fleuve qui a favorisé son passage ; le même jour il ramène tous les siens au camp, sans en avoir perdu un seul. Là, il reçoit les envoyés de plusieurs peuples libres des rives de l’Ister, de Syrmus, roi des Triballiens, et des Celtes qui bordent le golfe Ionique. Les Celtes ont une haute stature et un grand caractère ; ils venaient rechercher l’amitié d’Alexandre. La foi fut donnée et reçue. Alexandre demanda aux Celtes ce qu’ils craignaient le plus au monde, persuadé que son nom s’étendait dans leurs contrées et au-delà, et qu’il était pour eux l’objet le plus redoutable. Il fut déçu dans cette pensée : en effet, habitans des lieux d’un accès difficile, éloignés d’Alexandre qui tournait ailleurs l’effort de ses armes, ils répondirent qu’ils ne craignaient que la chute du ciel. Alexandre