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lieux déserts et des montagnes arides, n’offrait aucune ressource. Antigone choisit ce dernier, qui pénétrait jusqu’au milieu des quartiers ennemis. Il fit prendre à ses troupes des vivres pour dix jours, pourvut sa cavalerie d’orge, de fourrage, d’outres propres à transporter l’eau, et publia qu’il allait en Arménie.

Ce prétexte pouvait paraître plausible, puisque son armée affaiblie devait chercher à s’éloigner d’Eumènes, et que l’Arménie lui fournissait tout ce qui était nécessaire pour se rétablir et se recruter. Il en suivit effectivement la route, mais bientôt il se jeta dans les déserts par une contre-marche habile.

On était au cœur de l’hiver. Antigone marchait à la faveur des ténèbres, et ne permettait le feu que lorsqu’elles étaient dissipées. Il fit ainsi cinq journées. Mais la saison devenait si rigoureuse, les nuits paraissaient si longues, qu’il ne put maîtriser plus long-temps le soldat, et malgré ses défenses on alluma du feu pendant les haltes qu’il était obligé de faire.

Eumènes de son côté, qui sentait sa mauvaise disposition, ne s’était pas endormi. Par ses ordres, des coureurs et des espions devaient l’instruire de tous les mouvemens d’Antigone ; et lorsqu’il apprit que ce général était en marche et qu’il approchait de ses lignes, ses officiers furent d’avis de se retirer à l’extrémité de la province. Eumènes les rassura tous, et leur promit d’arrêter l’ennemi, trois ou quatre jours, temps nécessaire pour rassembler l’armée.

Aussitôt il prit les détachemens qui étaient sous sa main, leur fit occuper les montagnes placées sur la route d’Antigone, et forma plusieurs divisions avec une étendue de plus de trois lieues, comme si ses troupes arrivaient de différens endroits. Il ordonna ensuite d’allumer des feux à la distance de trente pieds, et d’y observer les gradations suivantes : sur la première veille de la nuit (six heures du soir), ils devaient être forts et flambans. C’était le moment où le soldat avait coutume de se frotter d’huile pour se délasser et donner aux membres de la force et de la souplesse. On consacrait aussi cette première veille aux apprêts du manger. Les feux devaient diminuer sur la seconde veille (neuf heures) ; s’éteindre insensiblement, puis finir tout-à-fait avant la troisième, ou minuit.

Quelques habitans des montagnes, dévoués au parti d’Antigone, vinrent l’avertir de ce qu’ils avaient vu, ne doutant point que ce ne fût l’armée tout entière. Antigone dut le penser aussi, et n’osa hasarder un combat avec des troupes fatiguées. Il prit sur la droite pour se tirer du désert, et se mettre dans le pays habité, afin de s’y rafraichir. Par ce stratagème, Eumènes se donna le temps de rassembler ses corps séparés, et de prendre un camp avantageux où il se retrancha.

Nous ne suivrons pas plus loin les manœuvres de ces deux grands capitaines, manœuvres où ils surent déployer, avec un égal avantage, toutes les merveilles de l’art. La bataille mémorable qui termina cette campagne, et dans laquelle les Argyraspides flétrirent toute leur gloire, en trahissant Eumènes dont ils avaient suivi la fortune, doit être regardée, sans aucun doute, comme un chef-d’œuvre de tactique ; mais elle rentre dans les principes de l’ordre oblique si souvent employé par Alexandre ; car vous avez pu voir que c’était la méthode favorite de ce conquérant.

Je remarque seulement qu’à cette bataille de Gabène (316 av. not. ère), il y avait des éléphans en grand nom-