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XÉNOPHON.

trui, des vices qu’il se connaît à lui-même ? Autre considération encore : nous allons soudoyer des troupes pour la garde de nos personnes et de nos maisons ; quelle honte serait-ce pour nous, de penser que notre sûreté dépendit d’elles et non de nous ! Sachons qu’il n’est point de meilleure garde que la vertu : c’est une escorte de toutes les heures ; rien ne doit réussir à qui n’en est pas accompagné.

Que faut-il donc faire pour la pratiquer ? quelles doivent être nos occupations ? Ce que j’ai à vous proposer, ne vous sera pas nouveau. Vous savez de quelle façon les homotimes vivent en Perse, auprès des tribunaux : devenus tous égaux, vous qui êtes ici présens, vous devez suivre le même plan de vie. Ayez sans cesse les yeux sur moi, pour juger si je remplis exactement mes devoirs : je vous observerai de même ; et je récompenserai ceux en qui je remarquerai de l’ardeur à bien faire. Que les enfans qui naîtront de nous soient élevés dans les mêmes principes : en nous efforçant de leur donner de bons exemples, nous-mêmes nous deviendrons meilleurs ; et s’ils étaient nés avec des inclinations vicieuses, il serait difficile qu’ils s’y livrassent, n’entendant ni ne voyant jamais rien que d’honnête, et passant les jours entiers dans l’exercice de la vertu. »




LIVRE HUITIÈME.

Chapitre premier. Cyrus ayant cessé de parler, Chrysante se leva, et dit : « Mes amis, ce n’est pas d’aujourd’hui ni dans cette seule occasion, que j’ai reconnu qu’un bon prince ne diffère point d’un bon père. Un père travaille de loin à établir solidement la fortune de ses enfans : de même Cyrus, par les conseils qu’il vient de nous donner, montre qu’il songe à nous assurer un bonheur durable. Mais comme il me paraît avoir passé trop légèrement sur certains points, j’essaierai d’y suppléer en faveur de ceux qui ne sont pas suffisamment instruits. Considérez, je vous prie, si jamais des troupes mal disciplinées ont pris une ville sur l’ennemi, ou défendu contre ses attaques les places de leurs alliés, et si de telles troupes ont été jamais victorieuses. Réfléchissez si une armée est jamais plus aisément défaite, que lorsque chacun songe à pourvoir à sa sûreté particulière ; si jamais on a obtenu quelque succès en désobéissant à ses chefs. Sans l’obéissance, quelles villes seraient bien gouvernées, quelles maisons seraient bien administrées, comment un vaisseau arriverait-il où il doit aborder ? Et nous, n’est-ce pas à la soumission aux ordres de notre général, que nous devons les biens dont nous jouissons ? La soumission faisait que nous allions avec ardeur, la nuit comme le jour, partout où nous étions appelés ; que tout cédait au choc de nos bataillons marchant à la voix de notre chef, et que les ordres étaient ponctuellement suivis. Or si l’obéissance est nécessaire pour acquérir, sachez qu’elle ne l’est pas moins pour conserver. Autrefois plusieurs d’entre nous avaient des maîtres, et ne commandaient à personne : nos affaires maintenant sont en tel état, que nous avons tous des esclaves, les uns plus, les autres moins. Nous voulons qu’ils nous soient soumis ; n’est-il pas juste que nous le soyons également à nos supérieurs ? avec cette différence néanmoins, entre nous et des esclaves, que les esclaves ne servent leurs