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XÉNOPHON.

mal qu’il m’a fait, je serai une seconde fois puni d’être entré dans votre alliance. »

Lorsqu’ils eurent tous dit leur avis, Cyrus parla en ces termes : « Braves guerriers, je ne doute point non plus qu’en congédiant nos troupes, notre parti ne devienne plus faible, et celui des ennemis plus fort : car ceux qu’on a dépouillés de leurs armes, en auront bientôt fabriqué d’autres ; ceux dont on a pris les chevaux, seront bientôt remontés ; les morts seront bientôt remplacés par une florissante jeunesse qui leur succédera : en sorte qu’il ne faudra pas s’étonner si dans peu ils nous suscitent de nouveaux embarras. Pourquoi donc ai-je conseillé à Cyaxare de mettre en délibération si on licencierait l’armée ? c’est que je crains l’avenir : je vois avancer contre nous des ennemis, à qui nous ne pourrons résister dans l’état où nous sommes.

L’hiver approche ; et si nous avons un abri, nos chevaux, nos valets, les simples soldats n’en ont pas, eux sans qui l’on ne saurait faire la guerre. » Quant aux vivres, nous les avons épuisés partout où nous avons passé : où nous n’avons point été, les ennemis, redoutant notre approche, les ont transportés dans des forteresses ; en sorte qu’ils en sont les maîtres et qu’il nous serait impossible de rien trouver dans les campagnes. Or, qui est assez courageux, assez robuste pour combattre en même temps la faim, le froid, les ennemis ? Pour tenir la campagne à ce prix, je dis, moi, qu’il vaut mieux renvoyer l’armée de son plein gré, que d’y être contraints par la nécessité. Si donc nous nous déterminons à rester armés, je crois que nous devons nous hâter de prendre aux ennemis autant de forteresses qu’il sera possible, et d’en construire nous-mêmes de nouvelles. Cela fait, l’abondance sera pour ceux qui auront su s’emparer de plus de subsistances et en remplir leurs magasins ; et la disette, pour celui des deux partis qui manquera de places fortes. À présent nous ressemblons parfaitement à des navigateurs ; ils voguent sans cesse et ce qu’ils viennent de parcourir n’est pas plus à eux que ce qu’ils n’ont pas parcouru. Mais quand nous aurons des places fortes, la contrée se déclarera contre l’ennemi, et nous jouirons plus tranquillement du fruit de nos conquêtes.

Que ceux d’entre vous qui craindraient d’être envoyés en garnison loin de leur pays, n’aient pas d’inquiétude : nous autres Perses, qui sommes déjà loin de notre patrie, nous nous chargerons de la garde des lieux les plus voisins de l’ennemi. Pour vous, défendez et cultivez les cantons de l’Assyrie, limitrophes de vos habitations. Si nous réussissons à défendre ceux qui avoisinent l’ennemi, vous qui en êtes à une si grande distance, vous vivrez dans une paix profonde : car les Assyriens, je crois, ne fermeront pas les yeux sur des périls prochains, pour aller au loin vous attaquer. »

Aussitôt qu’il eut cessé de parler, tous les chefs, et Cyaxare lui-même, déclarèrent en se levant qu’ils étaient prêts à exécuter ce qu’il proposait. Gadatas et Gobryas dirent aussitôt, que si les alliés y consentaient, ils bâtiraient chacun une forteresse, qui servirait à la défense commune. Cyrus voyant que tous entraient avec ardeur dans ses vues, reprit ainsi : « Puisque nous paraissons avoir à cœur de faire tout ce que nous jugeons nécessaire, préparons au plus tôt des machines pour battre en