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LA CYROPÉDIE, LIV. V.

Tigrane, tu marcheras après lui, à la tête de la tienne ; puis les autres hipparques, chacun avec les troupes qu’ils ont amenées. Saces, vous les suivrez. Les Cadusiens, qui sont arrivés les derniers, fermeront la marche. Et toi, Alceuna, qui les commandes, tu veilleras sur l’arrière-garde ; et qu’il ne reste personne derrière tes cavaliers. Que les chefs et tous les bons soldats marchent en silence : la nuit on a plus besoin des oreilles que des yeux pour être instruit de ce qui se passe, et pour agir. Le désordre embarrasse plus et on y remédie plus difficilement la nuit que le jour. Il faut donc observer le silence, et garder son rang. Lorsqu’on devra décamper de nuit, on multipliera les gardes, qu’on relèvera souvent, dans la crainte qu’une trop longue veille n’incommode quelqu’un pour la marche du lendemain. Le son de la trompette donnera le signal du départ : alors munis de ce qui vous est nécessaire, tenez-vous prêts à marcher vers Babylone. Que les premiers encouragent ceux qu’ils précèdent à suivre de près. »

Ces instructions finies, les chefs retournèrent à leurs tentes. Dans le chemin, ils parlèrent avec admiration de la mémoire de leur général, qui ayant tant d’ordres à donner, appelait chacun par son nom. Cyrus s’y était exercé : il trouvait étrange que des artisans sussent les noms des outils de leur métier ; que le médecin connût par leur nom, les instrumens de son art, et les remèdes qu’il emploie ; et qu’un général eût assez peu d’intelligence pour ignorer les noms de ses officiers, qui sont les instrumens dont il se sert pour attaquer ou pour défendre, pour animer la confiance ou jeter la terreur.

Voulait-il donner à quelqu’un une marque de considération, il lui paraissait honnête de l’appeler par son nom. Il était persuadé que des guerriers qui se croient connus du général, cherchent plus ardemment les occasions de se faire remarquer par quelque action d’éclat, et se rendent plus attentifs à ne rien faire qui les déshonore. Ce serait, disait-il, une sottise à un général, lorsqu’il a des ordres à donner, d’imiter certains maîtres qui chez eux disent vaguement : qu’on aille chercher de l’eau ; qu’on fende du bois. À de pareils commandemens, ajoutait-il, les serviteurs se regardent l’un l’autre, sans qu’aucun mette la main à l’œuvre : quoiqu’ils soient tous en faute, nul d’entre eux ne s’accuse, nul ne craint la punition, parce que la faute est commune à tous. C’est pour cela que Cyrus nommait toujours ceux à qui il donnait un ordre. Telle était sur ce point sa manière de voir.

Les soldats qui pour lors avaient fini leur repas, établirent des gardes, ramassèrent le bagage, et allèrent se reposer. Vers le milieu de la nuit, la trompette donne le signal. Dans le moment Cyrus, après avoir dit à Chrysante de se tenir durant la route à la tête de l’armée, sortit accompagné de ses aides-de-camp. Chrysante parut bientôt emmenant les soldats cuirassés : Cyrus lui donna des guides, et lui enjoignit de marcher lentement, jusqu’à ce qu’il lui expédiât un nouvel ordre ; car toutes les troupes n’étaient pas encore en mouvement. Pour lui, restant au même lieu, il faisait ranger les soldats à mesure qu’ils arrivaient, et envoyait presser ceux qui étaient les moins diligens.

Quand elles furent toutes en marche, il dépêcha des cavaliers pour en donner avis à Chrysante, et lui dire qu’il doublât le pas : il partit ensuite à che-

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