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LA CYROPÉDIE, LIV. IV.

courage de leurs troupes. Cyrus s’apercevant de ce mouvement, et craignant, s’il entreprenait de forcer le passage, que ses gens trop peu nombreux ne fussent accablés par la multitude, ordonna qu’on se retirât soudain hors de la portée du trait. Il fut aisé de distinguer les homotimes à leur prompte obéissance, à leur zèle pour faire exécuter l’ordre du général. Quand ils se furent éloignés de la portée du trait, ils reprirent leurs rangs mieux encore que ne l’eût fait un chœur de danseurs : tant chacun connaissait avec précision où il devait se placer.




LIVRE QUATRIÈME.

Chapitre premier. Cyrus, ayant tenu ferme assez long-temps avec son armée pour donner à connaître à l’ennemi qu’il était prêt à combattre encore s’il voulait sortir de ses retranchemens, et ne voyant aucun mouvement, alla camper avec ses troupes à la distance qu’il jugea convenable. Lorsqu’il eut établi des sentinelles et envoyé des espions à la découverte, il rassembla ses soldats ; et leur parla ainsi : « Braves Perses, je rends grâces aux Dieux de tout mon cœur, vous aussi, je crois, après avoir obtenu une si belle victoire sans perdre aucun des nôtres. Il est juste de leur en témoigner, et à présent et dans tous les temps, par tous les moyens qui dépendront de nous, une sincère reconnaissance. Pour vous, je ne puis assez vous louer ; car vous avez tous contribué au succès de cette journée ; et dès que mes officiers m’auront donné des détails, je m’efforcerai de reconnaître le mérite de chacun par des éloges et des récompenses. Quant au taxiarque Chrysante, qui commandait près de moi, je n’ai pas besoin de m’informer de sa conduite : je sais par moi-même comment il s’est montré ; il a fait tout ce que j’aime à croire que vous faisiez tous. Dans l’instant où j’ordonnais la retraite, je l’appelai par son nom ; il avait le bras levé, prêt à frapper un ennemi jaloux d’obéir, il n’achève pas, il se retire, il transmet rapidement mon ordre aux autres capitaines ; en sorte que Chrysante et sa troupe étaient hors de la portée du trait, avant que les ennemis se fussent aperçus que nous faisions retraite, et qu’ils eussent songé à bander leurs arcs ou lancer leurs javelots. C’est cette prompte obéissance qui l’a sauvé lui et les siens. J’en vois plusieurs moins heureux : lorsque je saurai dans quelle circonstance ils ont été blessés, je m’expliquerai sur leur compte. À l’égard de Chrysante, puisque prudent et brave dans l’exécution, il ne sait pas moins obéir que commander, je le fais chiliarque ; et si les Dieux m’accordent de nouvelles faveurs, même alors je ne l’oublierai pas. Vous tous qui m’écoutez, voici un conseil que je vous donne : pensez continuellement à ce que vous avez vu dans le combat ; afin que vous jugiez par vous-mêmes lequel est le plus sûr pour conserver sa vie, de tenir ferme ou de fuir ; lequel de deux soldats qui marchent à l’ennemi, l’un de bon gré, l’autre avec répugnance, échappe plus facilement au danger ; quel est enfin le charme de la victoire ? Vous en jugerez sainement, et d’après votre expérience, et sur ce qui s’est passé récemment sous vos yeux. Le souvenir que vous en garderez affermira votre courage. Mais, il en est temps, allez prendre votre repas, braves et sages guerriers chéris des Dieux ; allez faire des libations en leur honneur, chantez