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LA CYROPÉDIE, LIV. III.

encore à son effroi, c’est qu’on allait découvrir qu’il commençait à fortifier sa ville capitale, de manière à pouvoir s’y défendre. Agité de toutes ces craintes, il envoie çà et là, il rassemble ses troupes ; il fait passer dans les montagnes, sous bonne escorte, Sabaris, le plus jeune de ses fils, la reine, ses filles, la femme de son fils aîné, ses bijoux, ce qu’il avait de plus précieux, et détache des coureurs pour observer ce que faisait Cyrus. Il armait tous les Arméniens qui se trouvaient autour de sa personne lorsqu’on vint lui annoncer que Cyrus marchait sur ses pas. Loin d’oser se mettre en défense, il s’éloigne ; les Arméniens, à son exemple, regagnent en hâte leurs maisons pour mettre leurs effets en sûreté. Cyrus voyant la plaine couverte de gens qui se sauvaient avec leurs troupeaux, envoya dire qu’on ne ferait aucun mal à ceux qui demeureraient, mais qu’on traiterait en ennemis ceux qui seraient pris en fuyant. Le plus grand nombre resta : quelques-uns suivirent le roi. D’un autre côté, ceux qui escortaient les princesses vers les montagnes, ayant donné dans l’embuscade de Chrysante, poussèrent un grand cri et furent presque tous pris dans leur fuite. Le fils du roi, ses femmes, ses filles, tombèrent au pouvoir de l’ennemi, ainsi que tout ce qui marchait à leur suite. À cette nouvelle, le roi, incertain du parti qu’il prendrait, se sauva sur les hauteurs ; Cyrus, qui avait vu ce mouvement, l’investit aussitôt avec les troupes qu’il avait sous la main, et fit dire à Chrysante de quitter la montagne pour le venir joindre.

Tandis que l’armée se rassemblait, il envoya au roi d’Arménie un héraut chargé de lui faire cette question « Roi d’Arménie, que préfères-tu, de rester où tu es pour lutter contre la soif et la faim, ou de descendre dans la plaine pour combattre contre nous ? » Sur la réponse du roi qu’il ne voulait avoir affaire ni à l’un, ni à l’autre de ces ennemis, Cyrus, par l’organe de son héraut, lui dit encore : « Pourquoi, au lieu de descendre, restes-tu à ce poste ? — Parce que je suis incertain de ce que je dois faire. — Peux-tu hésiter, puisqu’il ne tient qu’à toi de venir défendre ta cause ? — Qui sera mon juge ? — Pas d’autre que celui que les Dieux ont fait l’arbitre absolu de ton sort. » Contraint par la nécessité, il descendit de sa colline. Cyrus le reçut lui et sa suite au milieu de son armée, qui, devenue complète par l’arrivée de Chrysante, l’environna de toutes parts.

Tigrane, fils aîné du roi d’Arménie, qui avait souvent chassé avec Cyrus, arrivait alors d’un voyage en pays étranger. Informé de ce qui se passe, sur-le-champ même et dans l’équipage de voyageur, il va trouver le prince perse. On conçoit qu’en voyant son père, sa mère, ses sœurs, sa femme prisonniers, il versa des larmes. Cyrus borna tout son accueil à lui dire « Tu arrives à temps pour assister au jugement de ton père. » Bientôt il assemble les chefs des Perses et des Mèdes, mande aussi les grands d’Arménie, et permet aux femmes qui étaient dans leurs chariots d’écouter ce qu’il allait dire. Lorsque tout fut prêt, il commença en ces termes : « Roi d’Arménie, je te conseille avant tout de ne rien dire que de vrai dans ta défense, afin d’éloigner de toi le plus odieux des crimes, car tu dois savoir que l’imposture rend tout-à-fait indigne de pardon. Tes enfans, ces femmes, les Arméniens ici présens, connaissent tous ta conduite : s’ils entendent le mensonge sortir de ta bouche et que je découvre la vérité, ils jugeront que tu te condamnes a subir les derniers supplices. — Demande-moi ce qu’il te plai-