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XÉNOPHON.

soldats des plus alertes, qu’à leur habillement et à leur nombre on prenne pour des voleurs. S’ils rencontrent des Arméniens, ils les arrêteront, de crainte qu’ils n’avertissent leurs compatriotes : ceux qu’ils ne pourront joindre, ils les écarteront par la terreur, de sorte qu’ils ne voient pas notre armée, et qu’ils croient n’avoir affaire qu’à des brigands. C’est à toi d’exécuter ce stratagème : pour moi, dès la pointe du jour, suivi du reste de l’infanterie et de toute la cavalerie, je m’avancerai, en traversant la plaine, vers le palais du roi. S’il se met en état de défense, il faudra combattre ; s’il se retire, nous le poursuivrons ; s’il se sauve dans les montagnes, qu’il n’échappe aucun de ceux qui tomberont dans tes mains. Songe bien que c’est une vraie chasse : nous, nous battrons la campagne ; toi, tu veilleras aux toiles. Souviens-toi qu’avant de lancer les bêtes, il faut occuper tous les passages ; et que les chasseurs doivent se tenir en embuscades pour ne pas faire rebrousser chemin à l’animal qui vient à eux. Garde-toi, Chrysante, de faire ici ce que tu faisais souvent, par amour pour la chasse ; plus d’une fois tu as passé des nuits entières sans te coucher : au contraire, laisse un peu reposer tes soldats, afin qu’ils résistent au sommeil. Il t’arrive aussi d’errer dans les montagnes, moins faute de guide, qu’entraîné par l’ardeur du butin sur les pas des animaux. Ne t’engage pas, de même, dans des chemins de difficile accès : recommande à tes guides de te conduire par la route la plus aisée, à moins qu’il n’y en ait une beaucoup plus courte ; pour une armée, le chemin le plus doux est le plus court. Ne va pas non plus, suivant ton usage, traverser les montagnes en courant : modère ta marche ; prends un pas que tes troupes puissent suivre. Il sera bon encore que quelques-uns des plus robustes et des plus dispos fassent halte ; puis, le reste des troupes passé, ceux-ci doublant le pas, encourageront les autres à les imiter. » Chrysante l’entendit : glorieux de sa mission, il sort avec ses guides, donne les ordres nécessaires aux troupes qui devaient le suivre, et prend ensuite du repos. On dormit tout le temps convenable ; puis on s’avança vers les montagnes.

Dès que le jour parut, Cyrus envoya un héraut au roi d’Arménie, avec cet ordre : « Roi d’Arménie, Cyrus t’ordonne de te rendre sans délai auprès de lui avec des troupes et le tribut que tu dois. » « S’il te demande où je suis ? dis franchement que je suis sur la frontière ; si je marche en personne ? réponds-lui, ce qui est vrai, que tu l’ignores ; quel est le nombre de mes soldats ? dis-lui qu’il te fasse accompagner de quelqu’un pour en juger. » En donnant cette instruction au héraut, il trouvait plus humain d’avertir ainsi le roi, que d’entrer sur ses terres sans le prévenir. Cependant, il marchait à la tête de ses troupes, rangées dans le meilleur ordre, soit pour la marche, soit pour le combat ; ordonnant au soldat de respecter les personnes, de rassurer les Arméniens qu’il rencontrerait, et de leur déclarer qu’ils seraient libres d’apporter dans le camp les vivres qu’ils auraient à vendre.




LIVRE TROISIÈME.

Chapitre premier. Telle était la conduite de Cyrus. Le roi d’Arménie fut frappé de ce que l’envoyé lui disait de la part de Cyrus : il se sentait coupable pour n’avoir ni payé le tribut, ni envoyé des troupes à Cyaxare. Ce qui ajoutait