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LA CYROPÉDIE, LIV. II.

l’ennemi ; mais si tu mènes plus de troupes qu’à l’ordinaire, tu deviendras suspect. — Ne peut-on pas imaginer un prétexte aussi plausible pour nos soldats que pour les Arméniens eux-mêmes ? on dira que je projette une grande chasse ; et je vous demanderai publiquement de la cavalerie. — Fort bien : moi, de mon côté, je feindrai de ne pouvoir t’en donner que très peu, sous prétexte que je veux visiter mes frontières du côté de l’Assyrie ; et de fait, mon dessein est d’y aller pour les fortifier le plus possible. Mais lorsque tu seras arrivé avec tes troupes, et que tu auras chassé pendant deux jours, je t’enverrai la meilleure partie de la cavalerie et de l’infanterie que j’ai rassemblées ; et dès que tu l’auras, tu entreras dans le pays ennemi, tandis qu’à la tête du reste de mon armée je tâcherai de ne pas m’éloigner, pour me montrer au besoin. »

Toutes ces mesures prises, Cyaxare fixa le rendez-vous de la cavalerie et de son infanterie vers les frontières, et les fit précéder de voitures chargées de munitions. De son côté, Cyrus sacrifia aux Dieux, pour obtenir un heureux voyage : en même temps il envoya demander à Cyaxare quelques-uns de ses plus jeunes cavaliers. La plupart témoignaient un grand désir de le suivre ; mais Cyaxare ne le permit qu’à un petit nombre.

Déjà ce prince avançait, avec ses nombreuses troupes, vers la frontière d’Assyrie : déjà Cyrus, encouragé par d’heureux augures à son expédition d’Arménie, était parti avec sa troupe, comme pour une chasse. Il entrait à peine dans les plaines, qu’un lièvre se lève tout-à-coup ; un aigle, qui volait sur la droite, l’aperçoit, fond dessus, le saisit avec ses serres, l’enlève, et le porte sur un coteau voisin où il le dévore. Cyrus, réjoui de ce présage, adore le souverain Jupiter ; et dit à ceux qui étaient auprès de lui : « Mes amis, avec l’aide du ciel, nous ferons bonne chasse. » Arrivé près de la frontière, il se mit à chasser, suivant sa coutume : le gros de l’armée, cavalerie et infanterie, marchait en avant pour faire lever les bêtes, tandis que des hommes d’élite distribués çà et là les surprenaient au passage ou les poursuivaient. On prit quantité de sangliers, de cerfs, de chevreuils, et d’ânes sauvages, espèce d’animaux encore aujourd’hui très commune dans ces contrées. La chasse finie, Cyrus se trouvant sur les frontières de l’Arménie, fit apprêter à souper. Le lendemain il chassa de nouveau, en s’approchant de certaines montagnes dont il désirait de s’emparer ; et la chasse finit par le souper, comme le jour précédent. Cyrus jugeant alors que les troupes de Cyaxare n’étaient pas loin, leur manda secrètement de souper à peu près à la distance de deux parasanges ; il espérait par là faire prendre le change à l’ennemi. Il ordonnait en même temps à leur commandant de se rendre auprès de lui dès qu’on aurait soupé. Après le repas, il assembla ses capitaines, et leur dit : « Chers compagnons, le roi d’Arménie, jusqu’à présent l’allié, le tributaire de Cyaxare, instruit que les Assyriens menacent la Médie, commence à le mépriser, ne fournit plus de troupes, ne paie plus de tribut : c’est cet homme qui doit être l’objet de notre chasse. Voici, à mon avis, ce que nous avons à faire : Chrysante, après avoir pris un peu de repos, pars avec la moitié des Perses qui sont avec nous, et t’empare des montagnes où l’on dit qu’il se retire quand il craint d’être attaqué. Je te donnerai des guides ; comme on assure que ces montagnes sont couvertes de bois, tu ne seras point aperçu. Il serait sage néanmoins d’envoyer en ayant quelques

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