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XÉNOPHON.

cer, l’autre pour s’en servir à la main, dans l’occasion. Si les Perses font de la chasse un exercice public où le roi marche à la tête de sa troupe, comme pour une expédition militaire, où il agit lui‑même et veut que les autres agissent, c’est qu’ils la regardent comme un véritable apprentissage du métier de la guerre. En effet, la chasse accoutume à se lever matin, à supporter le froid, le chaud ; elle endurcit à la fatigue des courses et des voyages. D’ailleurs, on emploie nécessairement contre les animaux que l’on rencontre l’arc et le javelot. Souvent même elle aiguise le courage : car si une bête vigoureuse s’avance impétueusement contre le chasseur, il faut qu’il sache à-la-fois et la frapper à son approche et se garantir de ses attaques ; en sorte qu’il n’est rien de ce qui appartient à la guerre qu’on ne retrouve dans la chasse.

Quand ils partent, ils emportent leur dîner, qui est le même que celui des enfans, mais plus ample, comme cela doit être. Tant que la chasse dure, ils ne mangent point : s’il arrive que l’animal les force à la prolonger ou qu’ils la prolongent pour leur plaisir, ils soupent de leur dîner et chassent le lendemain jusqu’au souper. Ils comptent ces deux journées pour une, parce qu’ils n’ont fait qu’un repas. On les accoutume à ce genre de vie, afin qu’il ne leur paraisse pas nouveau lorsque la guerre leur en fera une nécessité. Quand la chasse est heureuse, ils soupent de ce qu’ils ont pris, autrement ils sont réduits au cresson. Si l’on pense qu’alors ils mangent sans appétit le pain et le cresson, et qu’ils boivent l’eau avec répugnance, que l’on se rappelle comme on savoure le pain le plus grossier lorsqu’on a faim, avec quelle volupté on boit l’eau quand on a soif.

Ceux des jeunes gens qui restent à la ville s’occupent de ce qu’ils ont appris durant les premières années, à tirer de l’arc, à lancer le javelot, et tous s’y livrent avec une égale émulation. Ces exercices se font quelquefois en public : alors on propose des prix aux vainqueurs. Si l’une des tribus se distingue par un plus grand nombre de sujets courageux, adroits, obéissans, les citoyens louent et honorent non seulement leur gouverneur actuel, mais celui qui les a élevés dans l’enfance. Au reste, ces jeunes gens sont employés par les magistrats, soit à la garde des endroits qu’il faut surveiller, soit à la recherche des malfaiteurs et à la poursuite des brigands, soit enfin à des entreprises qui demandent vigueur et célérité. Telle est l’éducation des adolescens. Après dix années ainsi employées, ils entrent dans la classe des hommes faits, où ils demeurent vingt‑cinq ans de la manière que je vais dire.

D’abord ils se tiennent toujours prêts, comme les adolescens, à l’ordre des magistrats, lorsque le service de la république exige des gens dont l’âge ait mûri l’esprit et n’ait pas encore affaibli le corps. S’il s’agit d’aller à la guerre, ceux qu’on a soumis aux degrés d’éducation dont j’ai parlé ne portent ni arc, ni javelot ; ils n’ont que des armes à combattre de près, une cuirasse sur la poitrine, une épée ou une hache à la main droite, au bras gauche un bouclier semblable à celui avec lequel on peint aujourd’hui les Perses. C’est de cet ordre que l’on tire tous les magistrats, excepté ceux qui président à l’éducation des enfans. Au bout de vingt‑cinq ans, lorsqu’ils en ont cinquante accomplis, ils passent dans la classe de ceux qu’on nomme anciens, et qui le sont réellement. Ceux‑ci ne portent point les armes hors de leur patrie : ils restent, soit pour veiller aux intérêts communs, soit pour rendre la justice aux particuliers. Ils jugent